L’ashram de Matayi (Pattaya)

            Si l'Inde ancienne a largement influencé le Siam à travers les siècles par sa culture prodigieuse, l'Inde contemporaine, en revanche, fascine beaucoup moins le Thaïlandais moyen qui a perdu la conscience de cet héritage fabuleux. Et de nos jours, les quelques dizaines de milliers d'immigrants indiens demeurent des «khaek» (hôtes, invités) certes bien intégrés mais jamais vraiment assimilés. C'est donc à contre-courant qu'une nonne thaïlandaise, prêtresse de Shiva, œuvre pour promouvoir l'hindouisme dans un temple, au nord de Pattaya.


[Shri Matayi avec un futur yogi]

Mis à part le voisinage immédiat, seuls les membres de la population indienne (et hindoue, au sens large) de Pattaya connaissent l'existence de cet ashram (ermitage et lieu de culte) pour le moins inattendu dans cette circonscription.


[Le temple sikh de Pattaya]

Si la communauté "sikh" de Pattaya, très prospère, a construit un temple en plein centre ville, et dont le dôme doré est visible de loin, le temple de Shiva est beaucoup plus difficile à trouver puisqu'il n'est indiqué nulle part.


Loin de l'agitation urbaine, c'est un monastère champêtre, planté d'arbres d'essences diverses, au bord de la voie ferrée, sur la Sukhumvit Soi 31. Une belle plaque de marbre rouge brun indique le «Shree Jyotirlingeshwar Shiva Dham» de Pattaya. Les Thaïlandais disent plus simplement «Wat Khaek» (temple hindou).

Brahma le débonnaire vous y accueille à bras ouverts sur son autel finement décoré.

 

A quelques mètres, un peu en retrait sous son ombrelle, se tient la statue de Ma Ganga, le Gange en tant que déesse-mère (l'eau nourricière), qui a donné, par correspondance, son nom au Mékong (et oui, ça vient de là !). Ganga, fille de l'Himalaya (littéralement: lieu enneigé) est l'épouse céleste de Shiva. Pour preuve, en sanskrit, la voie lactée s'appelle Akash Ganga, le Gange du ciel.

 

Derrière la chapelle de Brahma se dresse un magnifique lingam de pierre, symbole phallique de Shiva, posé sur la yoni, la vulve originelle, représentant la déesse Shakti (l'Énergie).

 

Et face à cette vénérable borne de grès noir, deux statues du taureau Nandi, la «monture» de Shiva, le sabot avant-droit relevé en signe d'allégeance. Chaque divinité majeure du panthéon hindou a un véhicule «animobile»; pour Brahma, par exemple, c'est le cygne, symbole de la clairvoyance.

 

          On arrive ensuite devant une aire sacrificielle pour rites védiques, c'est-à-dire un foyer ouvert, constitué de simples briques, sous un modeste chapiteau. Lors d'évènements particuliers, ou lorsqu'on veut se concilier les faveurs divines, on y allume un feu que l'on alimente avec du beurre clarifié, des fragments de noix de coco, des copeaux de bois de santal, des fruits, des fleurs et de l'encens, tout en récitant des versets en sanskrit. Si cela ne touche pas les dieux, cela purifie au moins l'atmosphère.

 

          Et enfin, installé bien haut sur une large plateforme circulaire, on trouve Shiva en majesté dans sa tenue d'ascète, le regard tourné vers l'intérieur, assis sur une peau de tigre, l'attribut des empereurs et des yogis.

            La rotonde est entourée d'un bassin (évoquant le mythique Sarovar, i.e. lac sacré de l'Himalaya) d'où émergent des fleurs de lotus (symbole des âmes pures). Sa coupole, soutenue par quatre colonnes corinthiennes courtes et massives, est surmontée d'une tour stylisée, figurant le Kailash, montagne du Tibet, résidence permanente du dieu des anachorètes.


          Outre un grand préau pour accueillir les visiteurs, le domaine comprend aussi un beau pavillon agrémenté d'un large porche. L'intérieur est occupé par une galerie de statues de dieux de l'hindouisme, tels que Ganesh (à la tête d'éléphanteau), Kali la noire, Sarasvatî (déesse de la musique), Ardhanarishwara (dieu mi-homme/mi-femme), le flamboyant Shiva-Nataraja (roi de la danse cosmique) et même le Bouddha, considéré comme l'une des dix incarnations de Vishnou.


[Shiva-Nataraja, roi de la danse cosmique]

            La salle abrite également une bibliothèque d'ouvrages en sanskrit et en hindi (notamment le Mahabharata et le Ramayana), ainsi que des CD et K7 de chants religieux hindous. C'est là que Matayi, la mère supérieure de ce prieuré, reçoit les fidèles désireux de se faire lire l'avenir et qu'elle dirige des séances d'exorcisme pour les possédés du démon.


[Satri mi raup deuan ham khao nay theow sathan]

Mais attention car, selon la tradition indienne, une pancarte indique à la porte : Satri mi raup deuan ham khao nay theow sathan, l'entrée du sanctuaire est interdite aux femmes pendant leurs menstruations…


Ce lieu consacré ayant une vocation naturellement cultuelle, les principales fêtes du calendrier hindou y sont célébrées, telles que, entre autres, la naissance de Krishna, Diwali (la fête des lumières) ou les noces de Shiva, pour le plus grand bonheur des hindous établis dans la région. Devant l'affluence, il a même fallu construire des toilettes publiques à l'écart du complexe.

 

Certains dévots viennent tous les lundis matin assister et participer au rituel très élaboré, dédié à Shiva, consistant notamment à «baigner» copieusement le phallus sacré avec de l'eau lustrale, du lait, du beurre clarifié et du miel. Le mélange ainsi recueilli, appelé «amrit» ou nectar, est distribué aux fidèles.


La prêtresse et ses ouailles effectuent des circambulations autour du lingam, en agitant une clochette au timbre clair, tout en lui présentant de l'encens et des mèches de camphre allumées sur un candélabre, et lui offrant pour finir des fleurs et des fruits.


Après quoi Matayi va rendre hommage à Nandi, un zébu de belle taille qu'elle élève avec 3 vaches, ainsi qu'un petite meute de chiens qui sont forcément végétariens.

 

Car pour elle, le végétarisme est bien plus qu'une démarche diététique, c'est une attitude éminemment spirituelle, digne du Mahatma Gandhi.

Née à Lopburi il y a 45 ans dans une famille typiquement bouddhiste, sous le nom de Wanichaya Preueprak, rien ne la prédisposait à devenir nonne hindoue, et encore moins prêtresse de Shiva. Dans sa jeunesse, un astrologue lui avait bien parlé d'une sorte d'ange gardien qui se tenait en permanence à ses côtés mais elle n'y avait accordé aucun crédit.

 


[Yantra des 12 Jyotirlingams]
En clair: diagramme des 12 Phallus de Feu...
C'est un peu... ésotérique !

Après des études poussées en théologie bouddhique, elle suit pendant sept ans des cours d'hôtellerie à Bangkok, se spécialisant en service et restauration. Puis elle fait des stages pratiques dans de grands hôtels de Pattaya (comme L'Ocean View et le Siam Bay View) mais un problème se pose à elle: la cuisine occidentale comporte beaucoup de recettes à base de bœuf et elle s'aperçoit que le seul fait d'en manger la rend malade. Puis elle fait des rêves bizarres, a des visions de paradis bucoliques, mais ne comprend toujours pas pourquoi elle développe soudainement une allergie à la viande de bœuf.

Ce n'est qu'au bout de plusieurs mois de nausées qu'elle se rend à l'évidence: le régime carné ne lui convient pas et, de par son métier, cette vie débridée et futile l'éloigne de son être intérieur. Elle ressent le besoin impérieux de se recentrer, de revenir à une existence plus authentique. Elle connaît des périodes de doute et d'errements, alternant avec des moments de joie fulgurante. Petit à petit, elle se rapproche de la philosophie hindoue.

 


[Kamadhenou, la vache sacrée céleste, source perpétuelle
de lait et de beurre, qui satisfait tous les besoins]

          Elle a 25 ans quand elle devient complètement végétarienne et opte pour une vie monastique. C'est une véritable renaissance qui s'opère. Elle ne porte plus que des vêtements blancs. Elle se sent désormais en harmonie totale avec elle-même et ses problèmes de santé cessent comme par enchantement, ce qui renforce ses convictions.

          A partir de là, elle se laisse guider par les voies du Seigneur. L'Inde et le Népal l'attirent inexorablement. Elle y fait plusieurs séjours, notamment dans les lieux de pèlerinage tels que Haridwar et Rishikesh, aux sources de Gange et de la Yamuna (nord de l'Inde), ainsi qu'à Pashupatinath, au Népal.


[Yogis au Népal]

            Elle en revient chaque fois régénérée. Dieu pourvoit à ses besoins. Au bout de quelques années, elle se sent investie d'une mission: construire un temple de Shiva à Pattaya. Parallèlement, elle se découvre des talents divinatoires qu'elle va pouvoir exploiter pendant quatre ans en Allemagne où la demande est forte parmi la population thaïlandaise expatriée.

          A son retour, elle met son projet à exécution et pose la première pierre de son temple au nord de Pattaya. Rapidement, les fonds viennent à manquer mais elle met Shiva au défi. Par la seule force de son ascèse et de son amour divin, l'argent afflue sous forme de dons. Elle ne garde rien pour elle, tout est dépensé pour la plus grande gloire de Dieu.


          Tout ce qu'elle doit faire, dit-elle, c'est observer les règles monastiques, être totalement végétarienne, contrôler son corps et son esprit, et Shiva s'occupe du reste…


          Dans le futur immédiat, elle attend la venue d'un patriarche hindou, le Shankaracharya de Badrinath (nord de l'Inde), pour lequel elle a fait expressément construire un modeste mais magnifique bungalow hexagonal. Le passage de ce haut dignitaire, accompagné du grand prêtre de la chapelle royale de Bangkok, sanctifiera les lieux pour les siècles des siècles. Amen.

                             Texte et photos : Raymond Vergé
                             (Aide pour la traduction de l'entretien: Guy Tabellion)

Août 2008 - Jomtien - Soï 5 (Post Office - Immigration)

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Août 2008 - Soi Yumee, Pattaya (derrière Carrefour)



01/04/2008
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