Nitka: portrait d’un croqueur impénitent

LOUIS NITKA OU L'ILLUSTRATION
DE L'HUMOUR IMPOSSIBLE

Son nom n'est pas forcément connu des francophones nouvelle génération mais ses dessins ont tellement circulé à travers le monde qu'ils font partie de l'inconscient collectif. La Thaïlande est depuis 20 ans l'un de ses pays d'adoption. Portrait d'un croqueur impénitent.


          Fils d'un couple de tailleurs polonais immigrés, il naît à Paris le 13 novembre 1940, six mois après la 'drôle de guerre'. Passant de suite en zone libre, ses parents s'installent à Pau où il est scolarisé dès l'âge de trois ans. Son goût pour le dessin s'affirme déjà en classes primaires et ses cahiers sont bientôt remplis de croquis divers et variés. En 1955, à la fin de ses études secondaires, toute la famille est revenue à Paris et il s'inscrit tout naturellement à l'École des Arts Appliqués. Il y suit notamment des ateliers de céramique. Il réalise ses premiers dessins pour des magazines alors qu'il a tout juste 16 ans. A partir de 1958, il est dessinateur politique, publiant dans La Croix, Le Pèlerin, Ici Paris, Télérama, Minute, Lui, Pariscope, Pilote… (Liste non exhaustive), ainsi que dans des magazines anglais (Penthouse, Time Out, The Spectator…), avec, entre 1961 et 62, un petit passage obligé en Algérie, pendant neuf mois, jusqu'à la fin des Évènements.

          En 1965, séduit par le rêve américain, il s'installe à New York, à Greenwich Village, où il s'établit jusqu'en 1970; ses dessins sont publiés dans True, Look, Saturday Evening Post, The New Yorker et le prestigieux Harper's Magazine qui en fait son dessinateur vedette. Variant les plaisirs, il est un temps professeur d'art à Fort Lauderdale et créateur de fenêtres à Miami. Il fait un séjour de quelques mois au Mexique, le temps d'apprendre l'espagnol. A partir de 1971, parcourant le monde, il est publié sur tous les continents. Il réussit l'exploit de se faire accepter au Japon, pays pourtant particulièrement nationaliste et y publie ses dessins pendant huit ans. En 1978, de passage au Brésil, il découvre un journal qui repiquait systématiquement, à son insu, ses dessins parus dans d'autres publications. Beaux-joueurs, les responsables lui versent des royalties sans se faire prier.

          A partir de 1979, il participe à plusieurs expositions, notamment à la galerie Mörner de Stockholm, au Coliseum de New York, au musée Cézanne de La Roque d'Antheron, au siège du publiciste Dentsu de Tokyo, ainsi qu'à Amsterdam, Budapest, Bruxelles, Düsseldorf, Tel-Aviv, Stuttgart, Rome, Helsinki, Londres, Francfort, Paris...

          Au tout début des années 80, il pose ses valises à Stockholm, se fait un nom dans la presse suédoise, expose eaux-fortes et lithos puis se tourne vers la sérigraphie, la photographie, la publicité, se diversifiant au maximum, tout en continuant le dessin d'humour, un virus qui ne l'a jamais quitté. Il produit aussi bien et avec la même facilité des livres pour enfants préscolaires que des albums pour adultes avertis (dont "Ski with Nitka" et "Pornographics").

          Boulimique de la création, il dessine 220 cartes postales, une cinquantaine d'affiches, des dessous de verres, des tee-shirts, sans compter les illustrations d'ouvrages littéraires. Toujours en Suède, il est contacté pour concevoir diverses campagnes publicitaires (Ikea, notamment) et de sensibilisation, telles que la promotion de la langue française, la prévention du sida et du tabagisme. En 1987, à peine arrivé à Bangkok, il dessine badges et affiches pour Thai Airways (Fly Thai–Visit Thailand). En 1990, il fait trois expositions à Budapest, en parfait inconnu, et une en Finlande où il est déjà célèbre. Ses dessins se vendent même en Hongrie où, en 1993, il connaît son quart d'heure de gloire à la télévision nationale. Aujourd'hui, Nitka partage son temps entre la Suède, la France et la Thaïlande (où il prépare un livre et des expositions).

          Quand on parle avec lui, on remarque une expression qui ponctue souvent ses phrases: «C'est rigolo !». Quelque soit le sujet, il ne peut s'empêcher de citer une anecdote amusante ou un exemple plaisant pour étayer ses propos. Il s'ingénue à décortiquer le quotidien pour le montrer sous des angles différents, touchants et absurdes à la fois, une sorte de regard généreux et attendri sur le monde. Il s'est livré avec un sourire malicieux au petit jeu des questions-réponses.

 

Gavroche: Parlez-nous de vos débuts, de votre vocation.

Louis Nitka: D'abord, j'ai toujours voulu faire rire, depuis ma plus tendre enfance. Tout petit, je voulais être clown, et à l'école, cela s'est traduit par des dessins. La suite logique a voulu que j'en fasse mon métier, au sortir de l'adolescence. Comme ça marchait, j'y ai pris goût. Puis, en tant que jeune adulte, je me suis spécialisé dans le dessin politique. Ensuite, vers 22 ou 23 ans, pour rompre la routine, je me suis diversifié. J'ai suivi des directions très différentes, parfois en même temps. Peut-être est-ce de la prétention mais je me suis toujours considéré comme un artiste. Je sais que ce n'est pas le cas de beaucoup de mes confrères, à travers le monde. La plupart des gens pensent que faire des dessins, ce n'est pas très sérieux. Moi, si. Je n'ai jamais fait autre chose. J'ai connu des dessinateurs qui étaient aussi comptables ou médecins…

Gavroche: Quels sont les endroits qui vous ont le plus marqué ?

Louis Nitka: J'ai adoré New York et la vie qu'on pouvait y mener dans les années 60. J'aime la Thaïlande pour son peuple et son art de vivre, Stockholm pour la solitude, Francfort pour quelques amis et Paris bien sûr pour mes parents et pour la ville.

 

Gavroche: Langues parlées, à part le français, l'anglais, l'espagnol et le thaï ?

Louis Nitka: Suédois, allemand…

 

Gavroche: Avez-vous des thèmes de prédilection ?

Louis Nitka: Aucun. C'est à dire que tout m'intéresse et je ne veux pas me limiter à une seule direction. Tous les aspects de la comédie humaine sont passionnants. Je m'adresse aussi bien aux enfants qu'aux adultes, parfois alternativement, parfois simultanément. Par contre, dans le style et la forme, je m'attache à présenter des situations impossibles que l'humour, ou le clin d'œil, rendent plausibles, en tout cas intellectuellement acceptables. A moment donné, je me suis gentiment moqué de l'art abstrait dans la peinture. J'ai fait pas mal de séries sur le pointillisme, le colorisme, le futurisme, le constructivisme, mais en poussant à l'extrême la caricature de tous ces courants. En fait cela m'a beaucoup appris et je m'y suis converti un peu moi-même.

 

Gavroche: Nos amis les bêtes ont aussi une place importante dans vos dessins.

Louis Nitka: J'utilise effectivement beaucoup les animaux pour dépeindre mes congénères. C'est un procédé qui remonte à l'antiquité, pour ne citer qu'Ésope le fabuliste. Je me suis également amusé à travailler sur la sexualité (animale et humaine). Les blagues sur le sexe ne laissent personne indifférent. J'ai d'ailleurs beaucoup été publié dans des magazines dits 'de charme', comme Lui ou Penthouse. Au passage, il est curieux de voir comment la censure varie d'un pays à l'autre. Certains de mes dessins étaient impubliables au Japon, même au Brésil, sans parler de pays comme l'Iran, alors qu'ils ont eu beaucoup de succès en Finlande par exemple. Je respecte les différences culturelles, ce qui me gêne, c'est la censure personnelle de certains directeurs de publication.

 

Gavroche: Avez-vous des frustrations, des regrets ?

Louis Nitka: On a parfois refusé de me considérer comme un artiste parce que je fais des trucs rigolos. Certaines galeries m'ont snobé et j'ai plaisir à constater que celles-ci sont aujourd'hui fermées pour cause de faillite. Je déteste être en compagnie de gens qui se croient supérieurs à vous... et aussi perdre mes cheveux, mais pour ça il est déjà trop tard, je n'en ai plus. Je déroute les gens par ma production extrêmement hétéroclite, à l'inverse des dessinateurs dont le style défini donne à voir immédiatement le parti à tirer de leurs œuvres. Mais moi, comment m'utiliser? Cela m'a parfois posé problème.

 

Gavroche: Quelle est votre façon de le résoudre ?

Louis Nitka: Il n'y a pas de recette miracle. La meilleure attitude est de lâcher prise et de laisser gentiment remonter à la surface ce que l'on a au plus profond de soi-même. Le résultat n'est pas garanti mais on ne fait pas de compromis avec l'enfant que l'on a été. Qu'importe si c'est avec un crayon ou un autre accessoire, la voix intérieure doit couvrir la cacophonie des critiques. Ma conviction est qu'un simple croquis peut faire partie du monde de l'art si la démarche est spontanée. D'un autre, côté, lorsque je vivais à New York par exemple, nous étions beaucoup de dessinateurs de presse, et quand je vendais mes dessins à un magazine, au-delà de la manne financière, c'était la satisfaction d'être choisi parmi les autres. Cette rude concurrence me poussait à m'améliorer constamment. Et j'ai encore bien des chemins à explorer…

                            Propos recueillis par Raymond Vergé



12/03/2008
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