Seven-Eleven: l’invasion barbare

A l'heure actuelle, lorsqu'on se promène à Pattaya, il n'y a plus guère que les palmiers pour évoquer (entre eux) le paisible petit village de pêcheurs… originel.


Depuis sa 'fondation', la ville a connu une bonne quarantaine de moussons, i.e. autant d'années de lumière et d'éclairage au néon. Sa métamorphose est permanente, son expansion incoercible et sa vigueur presque insolente. Sur les strates de béton bariolé, une foultitude d'enseignes [lumineuses] jalonnent désormais les itinéraires familiers et balisent les nouveaux territoires. Kodak et Fuji, McDo et KFC, Pizza Hut et Burger King pour ne parler que de quelques logos familiers. Et dans la guerre acharnée pour la conquête du marché, il y a une chaîne de petits commerces de proximité qui est en train de se tailler la part du lion, c'est Seven-Eleven (on écrit aussi 7-Eleven ou 7-11), suivie de loin par FamilyMart.


Retour en arrière: dans les années 50, les observateurs européens (dont un certain Charles de Gaulle) annonçaient déjà l'inéluctable phénomène de la 'coca-colonisation' du monde par le clonage et la reproduction ad nauseam de compagnies formées sur le modèle de la firme d'Atlanta (i.e. Coca-cola). On a parlé depuis de 'McDonaldisation' et l'on peut maintenant ajouter 'Seven-Elevenisation'.


C'est en 1927, à Dallas (Texas), qu'est né le concept de 'Convenience store' (épicerie ouverte tard le soir et le dimanche) lorsque la Southland Ice Company se mit à vendre du lait, des œufs et du pain en dehors des horaires habituels pour rendre service à ses clients. Et ce n'est qu'en 1946 que cette compagnie (marchande de glace!) s'est rebaptisée 7-Eleven pour afficher ses horaires d'ouverture (ce qui ne veut plus rien dire puisque les points de vente sont désormais ouverts 24h/24).

Ce fut ensuite la prolifération dans tous les états de l'Union et en 1964 fut instauré le système de franchise (i.e. contrat par lequel une entreprise [le franchiseur] concède, moyennant redevances, et souvent droit d'entrée, à une entreprise [le franchisé] le droit d'exploiter sa marque, sa raison sociale ou un brevet en s'engageant généralement à lui fournir son assistance]. Les franchisés 7-Eleven sont suivis et 'paternés' tout du long. 7-Eleven a été classé 3ème meilleur franchiseur sur 500 dans 'Entrepreneur Magazine's 2003' au niveau mondial et 2ème dans 'Franchise Times Magazine's 2002' pour les États-unis.


Comment ça marche: la maison-mère achète ou prend à bail le terrain et assume les frais d'installation et d'équipement. A son tour, le franchisé prend à bail le magasin 7-Eleven tout à fait opérationnel. Il est responsable des commandes, des achats et de l'inventaire, de l'embauche et de la formation des employés, ainsi que des salaires, de la trésorerie, des réserves, des réparations éventuelles, de l'entretien et tout autres frais internes.

Le franchisé reçoit de 7-Eleven une formation complète (en six semaines) sur le fonctionnement et la gestion d'un magasin. Un consultant local vient passer quelques heures par jour pour prodiguer ses conseils dans les différents aspects du commerce. Néanmoins, toutes les décisions concernant le magasin sont prises par le franchisé. Des rapports financiers mensuels sont préparés par 7-Eleven pour son franchisé. 7-Eleven s'occupe également de l'arrosage médiatique (i.e. radio, télévision, presse écrite) et fournit une aide juridique et légale dans les contentieux entre ses franchisés et les parties [forcément] adverses.


En outre, un peu comme les sectes qui veulent se donner une image rassurante, la compagnie 7-Eleven se présente comme un bon samaritain concerné par les difficultés économiques des communautés locales et prêt à soutenir les initiatives visant à renforcer la cohésion sociale, promouvoir l'instruction et l'emploi, la lutte contre la délinquance et le développement multi-culturel.

7-Eleven est maintenant implantée (souvent en position de leader) dans 18 pays (États-Unis, Japon,  Taiwan, Thaïlande, Corée du Sud, Chine, Canada, Mexique, Australie, Malaisie, Singapour, Philippines, Norvège, Suède, Danemark, Turquie, Porto Rico, Guam), i.e. près de 26000 points de vente au 31 décembre 2003. Rien qu'en Thaïlande, entre juillet 2001 et décembre 2003, il s'est ouvert près de 400 7-Eleven.


Et cela s'accélère: la compagnie Charoen Pokphand (qui détient 70% de 7-Eleven Thaïlande) a annoncé un investissement de 2 milliards de bahts en 2004 pour ouvrir de nouveaux points de vente et améliorer les performances. La prochaine étape est d'atteindre, voire de dépasser un total de 3000 'enseignes' en 2005, et ce avec quatre ans d'avance car initialement, ce chiffre était prévu pour 2009, date à laquelle il y aura sans doute près de 5000 points de vente dans tout le royaume de Siam.


La bataille est perdue d'avance, les loups sont dans la bergerie… Sur l'Internet, l'argument touristique de la ville de Chiang Dao au nord de Chiangmai précise que c'est l'une des rares villes de Thaïlande qui n'a pas encore son 7-Eleven, ce qui est très éloquent !

Comment s'explique ce phénomène? C'est celui de l'araignée tissant sa toile, imperturbablement, mais (présentement!) avec les technologies de pointe qui, en matière d'observation du consommateur lambda, donnent des informations en temps réel et très précises (profil des clients, situation matrimoniale, pourcentage par tranches d'âge, fréquence de visites, horaires de fréquentation, temps passé sur place, distance du domicile, articles les plus demandés…). Big Brother affûte son regard et devient donc redoutablement perspicace. Le consommateur est radiographié, ausculté, passé au scanner et analysé pour être mieux manipulé.


 

7-Eleven se sert également de bases de données et de logiciels pour optimaliser le contrôle de qualité, l'étiquetage et le perfectionnement des produits. Grâce à son système de réseau, la compagnie peut collecter le résultat des ventes de tous ses magasins trois fois par jour et l'analyser en 20 minutes, ce qui permet, en temps réel de discerner quels sont les produits et les emballages qui séduisent la clientèle. Sa capacité à cerner les nouvelles tendances et son temps de réponse à produire des articles idoines est supérieure aux autres compagnies. Ce qui lui permet maintenant d'augmenter ses propres lignes de produits avec des marges de profit naturellement supérieures.

L'investissement électronique de 7-Eleven a grandement amélioré l'efficacité de sa chaîne de distribution. Les commandes affluent en masse mais leur traitement ne prend que quelques minutes et sont répercutées immédiatement vers des centres de livraisons qui réagissent très rapidement.

La vente par catalogue est aussi un moyen de proposer des articles que l'on trouve dans les hypermarchés (comme Carrefour!) mais qui ne peuvent pas être mis en rayon, faute de place: les magasins font 100 m² de surface en moyenne. Ainsi, le '7-Catalog', (une centaine de pages en couleur, vendu 10 bahts) permet au client de choisir parmi 5000 articles (vêtements, cosmétiques, soins du corps, accessoires de beauté, bijoux, accessoires de sport, compléments alimentaires, aliments bio, accessoires pour bébé, jouets/jeux, électroménager, hi-fi, informatique, literie, petit mobilier, accessoires de jardin, accessoires de cuisine, accessoires de rangement,  électronique de poche…) par téléphone ou bien sur place dans les points de vente. Paiement en liquide ou par carte de crédit, récupération des articles sur place ou livraison avec léger supplément. 250 fabricants environ fournissent les articles du catalogue.

En Asie, ce système américain s'est tout d'abord parfaitement adapté au Japon où il a subi une transformation culturelle et où le succès a été encore plus fulgurant qu'aux États-Unis. Il ne restait plus ensuite qu'à exporter ce savoir-faire aux pays voisins en le mettant à la sauce indigène. C'est ainsi qu'en Thaïlande (et à Pattaya), malgré une présence non négligeable de résidents et touristes occidentaux, les 7-Eleven sont essentiellement orientés vers la clientèle thaïlandaise. Le personnel n'est pas supposé connaître l'anglais, et les catalogues, les affiches, les promotions et les instructions sont en thaï (de même que leur site Internet). Les autochtones ne parlent presque plus d'aller à l'épicerie du coin, ils disent désormais «Je vais au Seven», c'est passé dans le langage courant. Mais les 'farangs' constituent quand même une petite clientèle non négligeable puisqu'ils viennent se fournir en alcool et cigarettes à toute heure du jour et surtout de la nuit.


A Pattaya plus qu'ailleurs, il est vraiment question de pénétration du marché: par exemple, ne serait-ce que sur le/la Soï Buakhao, il y a trois 7-Eleven (et trois FamilyMart!), non pas sur les 1,8 km que fait cette rue (de Pattaya Klang à Pattaya Taï), mais seulement sur le kilomètre (du/de la Soï Buakhao) entre Pattaya Klang et le Soï Lengkee: c'est quand même significatif et révélateur d'un certain bouleversement des attitudes et de l'offre qui répond à la demande tout en l'encourageant. L'installation des points de vente se fait de préférence aux coins des rues, pour plus de visibilité: grâce à l'exposition angulaire, les trois couleurs (orange, rouge, vert) s'impriment durablement dans l'inconscient collectif. Et c'est très efficace: dans les conversations courantes, lorsqu'on veut indiquer un endroit, 7-Eleven vient immédiatement à l'esprit pour servir de repère car tout le monde connaît (ce qui n'est pas le cas de FamilyMart, beaucoup plus discret au niveau de l'enseigne).

Sur les grandes artères, il y a même parfois deux 7-Eleven à quelques dizaines de mètres de distance mais situés de part et d'autre de la chaussée de façon à éviter aux clients de traverser la rue. Hors agglomération, on trouve de plus en plus de 7-Eleven sur les parkings de stations d'essence PTT, encore un façon de ratisser large et prendre le maximum de clients dans les filets.


D'ailleurs, en ville, tout est fait pour rendre ces lieux incontournables car, développant le système de 'One Stop Service', ils sont souvent équipés de distributeurs (ATM: Automatic Teller Machine), de fax, de photocopieuses, de téléphones publics à cartes (elles-mêmes vendues sur place, ainsi que, entre autres, des programmes de jeux électroniques et des tickets de loterie) et il est déjà possible d'y régler les factures domestiques (eau-électricité, téléphone). Depuis avril 2003, un service 24h/24 de courrier express est proposé dans certains points de vente à titre expérimental. Les citoyens thaïlandais ne pourront bientôt plus envisager une démarche sans avoir le 'réflexe 7-Eleven'. Les ados (pour qui consommer, c'est exister), futurs chefs de famille, sont déjà largement convertis.

On voit mal qui pourrait intenter un procès à 7-Eleven pour 'monopole abusif', comme ce fut le cas pour Microsoft (plus ou moins condamné, et toujours leader mondial). D'ailleurs, l'uniformisation comme nouveau mode de vie semble convenir à tout le monde. Nous sommes donc tous des victimes consentantes. Quand on se rappelle la facilité avec laquelle McDonald a pu s'installer en France (haut lieu de la gastronomie), à Moscou et à Pékin (deux anciennes places fortes de l'anti-impérialisme américain), il est clair que rien ne pourra enrayer la progression de cet envahisseur insidieux. Il n'y a plus qu'à reprendre en chœur (comme des zombies) son fameux slogan 'Oh thank heaven for 7-Eleven'…

Raymond Vergé

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ÉCONOMIE - Les 7 Eleven se renforcent en Thaïlande

Le groupe Thaïlandais CP, qui exploite les célèbres 7 Eleven, va investir 3 milliards de baths pour construire 4 nouveaux centres de distribution. Il vise un réseau de 10 000 points de vente dans les 5 prochaines années dans le royaume.

Le groupe CP a annoncé la création de quatre nouveaux centres de distribution, rapporte le Nation. Selon le numéro 2 du groupe Pittaya Jearavisitkul “l’objectif est de nous préparer à l’échéance de 2015 et la libre circulation des biens et des marchandises dans l'Asean qui va augmenter l’offre”. Le groupe va donc accroître considérablement sa capacité logistique puisqu’aujourd’hui il doit faire avec cinq centres opérationnels. Ce plan est destiné à soutenir surtout la demande des 10.000 supérettes dans tout le royaume (contre 7 100 actuellement) d’ici cinq ans. L’entreprise 7 Eleven, fondée voici 25 ans, compte aujourd’hui 6.000 employés et 9 millions de clients par jour. L’expansion du réseau des centres de distribution permettrait à l'entreprise d'étendre sa couverture 7-Eleven de manière plus efficace, en particulier dans les zones rurales. Si ces chiffres peuvent donner le tournis, ils ne grisent pas Pittaya qui constate que le taux de pénétration des supérettes, toutes marques confondues, en Thaïlande (le pays en compte 15.000) est de loin inférieur à celui du Japon qui compte 60.000 magasins de proximité. FP (http://www.lepetitjournal.com/bangkok) mercredi 15 mai 2013



16/03/2008
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