Jacques Courtois: un gentleman à Pattaya
Après avoir eu sa statue de cire au Musée Grévin pendant 8 ans (dans les années 60-70), il figure maintenant, sur Internet, dans l'encyclopédie Wikipédia et d'autres pages encore. Ayant fait ses adieux à la télévision en mai 1975, il a fini par s'installer à Pattaya au milieu des années 80. En évoquant les faits marquants de son itinéraire particulier, il nous parle d'un temps que les moins de 3 fois 20 ans ne peuvent pas connaître…
La bohème, il l'a vécue, lors de ses débuts, tout du moins (comme beaucoup d'artistes !): arrivé à Paris à l'aube des années 50, il passait en «attraction» dans les salles de cinéma. Mais très vite, tout s'enchaîne: en 1952, Jean Nohain le recrute pour sa célébrissime émission «36 chandelles».
En 1953, dans un club de jazz à la mode, le College Inn,
rue Vavin (Paris, 6ème), avec Omer et le Canard
[A la fin des années 50, avec le grand Jean-Jacques Perrey (un des pionniers de la musique électronique : http://www.jean-jacquesperrey.com) qui était alors son pianiste-accompagnateur. Il fut aussi illustrateur sonore de nombreux dessins animés de Walt Disney. Également présents sur la photo: Goofy et le Cowboy, deux personnages qui faisaient partie du spectacle.]
Il est le premier ventriloque français en vedette sur la chaîne unique (et préférée) de l'ORTF (Office de Radiodiffusion-Télévision Française), avec sa marionnette Omer qui lui permet de dire les choses les plus ironiques avec l'innocence d'un enfant. C'est le succès immédiat. Toute la France en parle, le courrier des admirateurs arrive en masse, sa carrière est lancée.
télé 7 jours nº58 - 29 avril 1961
Elle va prendre un tour surprenant grâce à un personnage atypique: Louis Amade (1915-1992), préfet de police de Paris et génial auteur de chansons. Il a écrit, entre autres, les plus grands succès de Gilbert Bécaud (Les marchés de Provence, Quand il est mort le poète, L'important c'est la rose…). Il appelle Jacques Courtois, lui-même poète à ses heures, pour une première rencontre, qui sera un peu comme une entrée dans les coulisses de l'Histoire.
Car quelques temps après, au cours d'un thé à l'Élysée, Louis Amade bavarde avec une Mme de Gaulle préoccupée à ce moment-là par le traditionnel Arbre de Noël présidentiel, qui n'était pas très gai pour les enfants puisque organisé par le théâtre aux armées, avec pour seul programme un dessin animé et la musique de la garde républicaine…
Le préfet-parolier pense bien sûr immédiatement à Jacques Courtois qui a déjà participé à l'Arbre de Noël de la présidence de René Coty. Convocation à l'Élysée: le courant passe avec «Tante Yvonne», d'autant plus qu'ils découvrent que les grands-parents de l'un et les parents de l'autre étaient non seulement des bourgeois de Calais mais, en plus, de proches voisins. Entretien chaleureux avec Mon Général qui lui confie la mission, mais l'intéressé n'accepte qu'à la condition qu'il puisse inviter des clowns. Avec l'appui de la Générale, les «francs-tireurs» sont acceptés et il assure ainsi le Noël de l'Élysée pendant les 3 dernières années du mandat du grand Charles.
[Jacques Courtois et Georges Pompidou saluant Dominique Weeb au
Noël de l'Élysée. On aperçoit Sim et l'un des Charlots en arrière-plan]
A l'arrivée de Georges Pompidou en 1969, le contrat se perpétue par tacite reconduction, jusqu'à la mort prématurée du fumeur de Winston's, en 1974. Puis avec Valéry Giscard d'Estaing, c'est le… changement dans la continuité.
[En mai 68, à la Une du Figaro]
Durant ces trois septennats, l'Arbre a grandi, les branches ont poussé, bien au-delà du cercle initial. Sous le Général, ce n'est encore réservé qu'aux enfants du personnel, c.-à-d. une quarantaine de bambins. Jacques Courtois obtient alors que l'on fasse aussi venir des écoliers méritants (des faubourgs parisiens !), puis des enfants des quartiers défavorisés, et, sous Georges Pompidou, des gamins de grandes villes comme Bordeaux, Toulouse, Lyon ou Marseille. Enfin, sous VGE, on a vu aussi s'esclaffer, sous les lambris de la République, des habitants des Dom-Tom (la France d'outre-mer), totalisant près de 400 «têtes blondes» (sic).
Et au départ, il n'y avait guère que les photographes officiels de l'Élysée pour immortaliser la fête. Sous l'impulsion de Jacques Courtois, cela va progressivement s'internationaliser. Douze ou treize ans après son entrée en fonction, la petite réunion familiale s'est transformée en conférence de presse surmédiatisée, avec, au fond de la salle des fêtes, toute une estrade réservée aux journalistes, reporters et caméramans du monde entier.
Il se passait toujours quelque chose d'inhabituel, comme par exemple l'hommage à Louis de Funès qui s'est terminé par une partie de tartes à la crème, avec, en maîtres d'œuvre, les Barios, clowns-vedettes de la Piste aux Etoiles.
C'est ainsi que défilent tous les ans, dans le somptueux salon, les plus grandes célébrités de l'époque. L'organisation de cet évènement demande 3 mois de préparation. Et traditionnellement, pour clôturer les festivités, le président vient devant les enfants, pour leur souhaiter un joyeux noël. Mais la chose ayant pris une telle ampleur, les vœux s'adressent de fait à la France entière, par le biais des caméras de télévision.
[Le Parisien - Jeudi 19 décembre 1974]
On se souvient de cette image qui a fait le tour du monde: Valéry Giscard d'Estaing présentant ses vœux de Noël debout dans le castelet avec Nounours, l'icône des marmots et star de l'émission «Bonne nuit les petits». Cela a sans doute beaucoup fait pour l'image du maire de Chamalières.
Or, quelques mois plus tard, malgré ou à cause de ce palmarès, VGE congédie Jacques Courtois, sans aucune explication. Peu importe après tout, car, en parallèle, il avait eu une activité artistique débordante: auteur et interprète de plus de 300 sketchs (déposés à la SACEM), créateur avec Jean Nohain du cirque Spirou (un chapiteau de 2000 places qui tournait pendant l'été sur les plages de France dans les années 60), et producteur de ses propres émissions TV, telles que «Vive jeudi, Bonjour dimanche, Le grand club, Et avec les oreilles vous ne savez rien faire ?» cette dernière présentant exclusivement des imitateurs, des prestidigitateurs ou des illusionnistes. Mais pas de chanteurs, au grand dam des maisons de disque qui cherchaient à promouvoir leurs artistes. Et sous la pression des «lobbies», il finit aussi par perdre ses 2 heures d'antenne.
L'inénarrable Guy Lux le soutient en l'invitant régulièrement dans ses émissions du samedi soir. Mais la télé a changé et on est loin du temps où il servait spontanément de bouche-trou à l'ORTF en improvisant alternativement avec Fernand Raynaud, compagnon de la première heure (mort tragi-comiquement, en défonçant le mur d'un cimetière avec sa Rolls, en 1973).
Désormais, c'est beaucoup plus encadré, il y a 2 répétitions imposées, l'avant-veille et la veille, les réalisateurs veulent savoir exactement ce qu'on va dire, la scripte doit lire le sketch pour approbation. Trop de contraintes. A 47 ans, après un dernier gala en province, il met donc un terme à sa carrière, un peu dans l'indifférence générale, mais soulagé tout de même.
En face de chez lui, il y a une agence de voyages qui a, par le passé, organisé beaucoup de ses déplacements professionnels. On lui concocte un voyage à la carte. Il part faire un grand périple en Asie, mais ne se plaît nulle part.
Pourtant, aux Maldives, dans le bateau qui le ramène à l'aéroport pour son vol de retour en métropole, il passe devant une île où il aperçoit une fille nue. Intrigué, il demande à débarquer. Elle fait partie d'un groupe de naturistes. Il est lui-même membre d'un club Nature. Il se pose donc un mois ou deux puis décide de rentrer en France avant de s'installer définitivement dans l'archipel. Lorsqu'il revient quelques mois plus tard, le petit coin de paradis est tombé dans le giron du Club Med.
Heureusement, on lui indique une île à louer, appelée Vadoo, entièrement déserte (mis à part une douzaine de cocotiers), dans le sud de Malé. Le bail n'est pas très élevé. Il y crée un centre de plongée, à but non lucratif, et invite des amis à venir le rejoindre, comme Paul de Roubaix qui deviendra célèbre pour avoir filmé, à partir d'un bathyscaphe conçu pour les grandes profondeurs, un poulpe géant de 13 à 14 mètres de long. Son fils n'était autre que François de Roubaix, compositeur de musiques de films, tels que Le samouraï, La scoumoune et Le vieux fusil (César de la meilleure musique de film en 1976, après qu'il ait disparu quelques mois plus tôt lors d'une plongée sous-marine…).
A Vadoo, pendant quelques années, on se nourrit de fruits (de mer et de terre), le temps s'écoule lentement, paisiblement, jusqu'en 1983, lorsque Ibrahim Nasir, l'ex-président des Maldives, qui avait été destitué quelques années auparavant, a la malencontreuse idée de revenir pour tenter un putsch avec des mercenaires de Singapour et de faire étape sur cette île, car c'est la plus proche de la capitale.
Le coup d'état échoue et Vadoo est considérée comme base logistique des putschistes. Heureusement pour lui, Jacques le Robinson se trouvait en escale au Sri Lanka lorsqu'il apprend la mauvaise nouvelle. L'ambassadeur de France à Colombo lui déconseille fortement de retourner aux Maldives. Le rêve s'écroule. Retour brutal en France, mais toujours cette envie d'exotisme. Claudine, une amie (qui deviendra plus tard Mme Courtois pour des raisons caritatives), lui suggère de l'accompagner à Pattaya. Il obtempère. Elle retourne à Paris au bout de 15 jours, mais Jacques reste sur place car il réalise avoir enfin trouvé son port d'attache définitif.
Il fréquente les milieux gays et apprend à connaître ces garçons venus des provinces pauvres pour chercher le «Farang» qui prendra soin d'eux pour un soir ou toute la vie. Il établit avec certains d'entre eux des relations affectives qui durent encore aujourd'hui.
Vu son âge (il a eu 80 ans en avril 2008) on ne peut parler de «coming out» mais il se raconte très ouvertement : «Au début, je suis resté à l'hôtel, 2 ou 3 ans, j'avais pris une chambre double, c'était le passage permanent, j'avais beaucoup d'amis gays, avec qui je mangeais tous les soirs, et après on allait voir les garçons, je passais mes soirées dans les gogos. Le hasard a voulu que tout de suite 3 garçons entrent dans ma vie, dont celui qui est toujours avec moi. A l'époque, il a ouvert son premier bar, je l'ai aidé, ça n'a pas couté cher, c'est un petit homme d'affaires avisé, il a fait venir 50 à 60 garçons des villages qu'il connaissait et c'est comme ça que j'ai connu et commencé à apprécier les garçons, à les aimer".
"J'ai aimé et j'aime toujours la Thaïlande et son roi. Je trouve que la situations politique de la Thaïlande plutôt positive malgré les controverses, et je souhaite aux Thaïlandais que ça dure encore longtemps».
Concernant son mariage relativement récent (célébré en mars 2006 à Bangkok par l'ambassadeur Laurent Aublin), il s'en explique avec un naturel désarmant : «Claudine, je la connais depuis plus de 30 ans. Je suis célibataire, sans enfant et il me reste quelques biens, notamment de ma mère, alors je voudrais rendre service à certains garçons qui sont passés dans ma vie. Si je pars avant Claudine, il faut qu'elle organise tout ça. Je ferai de même pour ses protégés au cas où elle mourrait avant moi. Celui qui survivra veillera à ce que les bénéficiaires reçoivent leur part d'héritage. Mais j'espère bien mourir avant elle !».
Ambassade de France à Bangkok: mariage avec Claudine de LARIVIERE,
célébré par son excellence Laurent Aublin, ambassadeur de France.
Témoins: Jean Marcel, professeur/écrivain canadien et Pierre Bertrand Piedferme, attaché d'ambassade belge à la retraite (décédé depuis).
Il regrette quelque peu la mauvaise réputation faite à Pattaya par la presse internationale, certaines ONG et même des personnalités médiatiques. De par son attitude quasi chevaleresque, il invite les critiques les plus acerbes à regarder au-delà des apparences. L'essentiel est invisible: air connu qu'il faut rappeler sans cesse…
Raymond Vergé (Décembre 2007, mis à jour depuis)
l'encouragement de Jean Cocteau.
[En 1956, dans le film "L'homme et l'enfant", Omer donne la réplique
et chante en duo avec Eddie Constantine]
Jacques Courtois et Omer en 1959 au cours d'une action humanitaire
en faveur des enfants des ''bleds'' (villages) du sud algérien.
Jacques Courtois et Omer en avril 1969
au cours d'une action humanitaire
en faveur des enfants du Biafra
(région sud-est du Nigeria)
Jacques Courtois: images d'époque (1)
Jacques Courtois: images d'époque (2)
Jacques Courtois: images d'époque (3)
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Document antérieur au précédent mais transmis après notre entretien par M. jacques Courtois (photos: Raymond Vergé)
Interview de Jacques Courtois (05/04/07, Pattaya, Thaïlande)
Propos recueillis par Isadora Le Chapelain
J'ai rencontré Mr Jacques Courtois, qui fut un des premiers «ventriloques» de la télévision française. L'entretien a eu lieu dans son appartement (avec vue sur mer) à Pattaya, en Thaïlande. Je voulais absolument faire sa connaissance, car j'ai énormément entendu parler de lui par mon père, David Michel (Nestor le Pingouin)... Et j'en ai profité pour lui poser quelques questions. Je note «ventriloque» entre guillemets car Jacques Courtois s'est battu toute sa carrière pour ne pas être catalogué dans cette branche, il dit avoir été avant tout auteur, et surtout de sketchs. D'entrée, il me corrige: «Je ne suis pas ventriloque !»...
Jacques Courtois: Avant moi il y avait Roger PERRIN, un remarquable artiste ventriloque doué d'un grand talent. Lorsque je l'ai vu dans un petit music-hall parisien «Le Petit Casino » où il passait en vedette, j'ai immédiatement compris que j'allais faire fausse route en essayant de faire carrière comme lui. II était inimitable. De plus je ne comprenais rien à la ventriloquie, incapable de répondre lorsque l'on m'interrogeait sur le sujet. Oui: une marionnette me donnait la réplique. J'étais donc un ventriloque ? Non. C'est un métier où l'on a vite fait de vous coller une étiquette.
JC: Mais non ! Dès les débuts de la R.T.F., de nombreux artistes ventriloques sont passés dans différentes émissions, notamment chez Gilles Margaritis, le producteur de la Piste aux Etoiles: Roger Perrin, Georges Schlik, Lamouret, et d'autres encore. Il y avait de la concurrence, mais comme je vous l'ai dit, je ne faisais pas de la ventriloquie. Je ne cherchais pas à épater grâce à une grande technique, mais à faire rire. Le lendemain, seul Omer restait dans la mémoire du téléspectateur.
ILC: Que faisiez vous avant d'être à la télé ?
JC: Je me produisais dans les cabarets «Rive Gauche» comme le College Inn ou la Rose Rouge. C'était l'après guerre. Les gens avaient un grand besoin de rires et de chansons. Je passais dans les mêmes établissements que Brel, les Frères Jacques, Fernand Raynaud, etc...
ILC: Qu'est-ce qui a fait que vous vous soyez retrouvé à la télévision ?
JC: Un peu la chance, un peu le hasard. Cela s'est produit plusieurs fois dans ma vie. La chance d'être dans un spectacle présenté par Jean Nohain. Il avait toujours refusé de me placer dans une de ces émissions car il n'aimait pas les ventriloques. Après le spectacle il a dit à son fils Dominique (qui avait insisté pour que je sois dans le programme): «Tu aurais dû me parler plus tôt de cet artiste, c'est un bon comique, mais comme ventriloque je n'ai rien vu d'aussi mauvais !» (et il avait entièrement raison car je n'ai jamais cherché à supprimer les mouvements de mes lèvres.). Le lundi suivant, j'étais programmé dans 36 chandelles.
ILC: Comment c'est passé cette première émission ?
JC: Je devais faire un sketch sur les pompiers. Par chance j'en avais un que j'avais bien rodé dans les cabarets. Un comique avec une marionnette comme partenaire, c'était nouveau pour la télé de l'époque. Et c'était un très bon sketch. J'ai fait un tabac, comme on dit. Le lendemain matin je recevais des coups de fil prestigieux, le préfet Louis Amade qui voulait me rencontrer, Jean Cocteau qui voulait faire ma connaissance, des imprésarios connus qui me proposaient de prendre mes affaires en mains, Coquatrix qui me proposait l'Olympia.
Et surtout, le Chef de Cabinet du Président Coty qui désirait m'avoir pour l'Arbre de Noël de l'Élysée. Je dois beaucoup à Jean Nohain et surtout à 36 CHANDELLES car cela m'a permis de démontrer que l'artiste de cabaret que j'étais n'était pas un amuseur d'enfants, que j'avais ma place entre Fernand Reynaud, Devos, Robert Lamoureux et les autres.
D'ailleurs, je n'ai jamais été capable d'écrire pour un public d'enfants. Lorsque je devais me produire obligatoirement dans une salle ou il n'y avait que des enfants, j'étais terrifié. J'ai œuvré avec Jean NOHAIN jusqu'à sa mort, artiste, puis collaborateur, puis coproducteur, et enfin associé. Nous avons créé un chapiteau qui a sillonné les plages de France pendant 6 ans.
Avec son fils Dominique Nohain, j'ai vécu des grands moments de télévision: la première descente en direct dans une mine de charbon, une maison construite en deux heures, le bonhomme de glace pour Le Cap, le Dîner du Havre, etc. C'était passionnant de faire de la télé dans les années 60. J'ai toujours voué une grande reconnaissance doublée d'une grande admiration pour Jean Nohain: Fernand Reynaud et moi ne l'avons jamais tutoyé bien qu'il nous y encourageait et nous étions en colère lorsque quelqu'un se le permettait.
ILC: Omer est devenu une grande star, à quel moment est apparu Oscar ?
JC: Je n'ai jamais eu un personnage du nom d'Oscar ! Mais j'ai imaginé d'autres personnages. Tout d'abord par un besoin de création et par nécessité car j'ai toujours pensé que pour conserver une popularité acquise, il fallait garder la confiance de ses employeurs.
L'un ne va pas sans l'autre, si pour perdre l'un, vous perdez l'autre. Ceux qui vous engagent demandent constamment du nouveau. Il ne faut surtout pas tomber dans une routine qui lasse vite le public. Omer est devenu célèbre surtout pour ses reparties et les dialogues qui reflétaient les petits travers de la vie quotidienne des Français.
Nous n'avons jamais touché à la politique sauf lorsque nous nous produisions dans les cabarets de chansonniers: «Le Caveau de la République» par exemple. Deux dialogues ont choqué une certaine classe politique: «Les Arables à Poitiers» et «Jeanne d'Arc», le premier parce que l'on nous accusait de racisme, le second parce que Omer incendiait le Général.
ILC: Omer a donc fait de la politique ?
JC: En 68 et 69. Nous avons rallié Alain Delon, Gérard Sire (homme de radio) et l'acteur Jacques Dacmine pour défendre le Général et les valeurs de la France. On nous a appelés les 'Mousquetaires du Général'. Mais je me souviens aussi que le ministre Pierre Messmer refusait la présence d'Omer dans les meetings. On ne peut pas plaire à tout le monde.
ILC: Et qui est Hercule ?
JC: Quand Guy Lux m'a sollicité pour ses émissions, il m'était difficile de lui amener le personnage d'Omer, trop marqué dans les émissions de Jean NOHAIN. Je me devais de lui donner quelque chose de nouveau. J'ai d'abord pensé à Dady, le vieux cow-boy qui était dans mon spectacle de cabaret: il était bon pour la scène mais n'aurait pas passé les caméras.
Or, depuis longtemps, je pensais à des sketchs ironisant sur la façon dont certaines personnes traitaient leurs animaux de compagnie. J'ai imaginé comme partenaire un chien bougrement intelligent et ridiculisant ses propres congénères. Hercule était né.
ILC: À cette époque les spectacles comprenaient une première partie. Quelles étaient les vedettes que vous avez accompagnées ?
JC: J'ai fait ma première tournée avec Tino Rossi. Par la suite, pour toutes les autres tournées, ma popularité me permettait d'assurer la seconde partie.
ILC: Quelles sont les grandes 'stars' que vous avez connues ?
JC: toutes celles avec qui je faisais les cabarets en gagnant à peine de quoi manger. Une mention particulière pour Claude François avec qui j'ai sympathisé au cours d'un dîner dans un restaurant huppé-branché, le 'Black Calavados'. J'allais quelquefois faire un sauna finlandais avec lui dans son Moulin de Dannebois. Nous échangions des confidences. J'avais comme lui la même angoisse avant d'entrer en scène et la panique devant la foule.
Maurice Chevalier, pour qui j'avais la plus grande admiration, était mon idole: lorsque nous nous sommes quittés, un jour, il m'a offert son gros stylo encre «Mont Blanc», je l'ai toujours sur mon bureau. Juliette Greco, car nous avons en commun la passion des automates anciens. Et je n'oublie pas ma grande amie Mireille Mathieu.
BLC: vous avez, je crois, connu Bergen, l'acteur et scénariste américain ?
JC: J'ai rencontré Edgar Bergen dans un spectacle présenté par BOB HOPE. Il m'a invité à me présenter dans son émission de télé aux États Unis.
ILC: Fernand Reynaud faisait carrière dans les mêmes émissions que vous. Avez vous des souvenirs ensemble ?
JC: on buvait beaucoup! Et nous avions chacun une Rolls Royce, lui en décapotable, moi en coupé. II s'est tué en enfonçant le mur d'un cimetière. Je roulais derrière lui.
ILC: Et vous étiez aussi complice parfois avec Sim et Claude Vega en télévision ? Un petit mot sur ces ambiances de scène ou de coulisses ?
JC: Sim est un artiste charmant. J'admire son talent de créateur, il n'est jamais à court d'idées dans n'importe quelle situation et pour n'importe quelle émission. II est comme moi: faire de la télé pour le plaisir, il adore le direct, moment grisant où on risque sa carrière à chaque passage.
ILC: Omer est devenu une grande star !
JC: La preuve: en 1956 nous entrons au Musée Grévin pour y rester tout les deux en cire pendant 8 ans (un record). Par l'intermédiaire du Préfet Louis AMADE, Madame De Gaulle me demande d'assurer l'Arbre de Noël de l'Élysée. Je connaissais déjà la Maison grâce au Président René Coty. Je crois être le seul artiste à avoir été reçu par le Général en audience privée.
J'ai mis en scène les Arbres de Noël de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d'ESTAING. Au fil des années, j'ai transformé ce qui n'était qu'une petite fête de famille en un évènement national. La photo du Président V.G.E. souhaitant un joyeux Noel avec Nounours a fait le tour du monde. Mais je suis toujours resté dans l'ombre. Les présidents successifs ont apprécié que je n'utilise pas ma situation à l'Élysée pour servir mes intérêts personnels. J'ajoute qu'être le conseiller artistique était purement honorifique, mes collaborateurs et moi-même ne touchions aucun salaire, ni indemnité.
ILC: j'ai entendu dire que Raymond Devos avait même prit Omer comme partenaire dans l'un de ses spectacles: est ce vrai ?
JC: Devos et moi avons travaillé sur un de ses projets de sketchs. Mon départ pour les Maldives a interrompu notre travail.
ILC: Mon père qui a bien suivi votre carrière, et pour cause, m'a dit que votre marionnette Omer a une petite sœur ? Comment s'appelle t elle ?
JC: Elle s'appelle Catherine et elle perd sa culotte. Je voulais parler des travers des «mamans poules». Le personnage du petit garçon ne convenait pas.
ILC: Jacques Courtois, avez vous fait l'Olympia ?
JC: en 1958, trois mois en vedette 'anglaise' d'Édith Piaf. En 1954, en vedette 'anglaise' de Sylvie Vartan (avec les Beatles qui passaient avant moi). Ensuite, en vedette 'américaine' de Nana Mouskouri. Puis, en vedette 'américaine' de Georges Brassens. J'ai d'ailleurs fait sa marionnette pour lui rendre hommage.
ILC: Avez vous déjà fait un Bide ?
JC: (rires) Oui, avec toute ma discographie ! Chez Polydor, «Les aventures d'Omer et du Canard en Synovie). Et pourtant, c'était la première fois que la musique synthétique était utilisée. En 1971, après une tournée pour le respect de l'environnement, j'ai enregistré chez Bel Air «Pour bien respirer, coupez-vous les poils du nez !». Un super-bide.
Par contre, une exception: Roland Magdane a enregistré mon sketch «Lettre à monsieur le Président »: le disque s'est vendu à 500 000 (cinq cent mille) exemplaires. Guy Lux me l'avait refusé car il ne le trouvait pas drôle. Un bide aussi avec un magazine mensuel «Les aventures d'Omer» aux Éditions Rouff, mais une revanche: les collectionneurs s'arrachent à prix d'or les rares exemplaires encore existants.
ILC: Faites vous encore des spectacles avec Omer ?
JC: Quand on arrête, on arrête. Je ne suis pas de ceux qui font des retours.
ILC: Quand est-ce que vous avez arrêté et pourquoi ?
JC: En 1978, pour mes 50 ans. Le nouveau système de travail qui obligeait à créer des sociétés pour produire ses émissions, des directeurs qui m'orientaient vers les enfantines, secteur où je me sentais incapable de faire un bon boulot. Et surtout, une envie de vivre normalement.
ILC: Alors qu'avez vous fait ?
JC: Quelques jours après je suis parti faire un circuit de 6 mois en Asie... Mais je ne trouvais pas de point d'attache. Heureusement, je suis passé par les îles Maldives, où j'ai trouvé le bonheur. Le ministère du tourisme m'y a proposé une île en location pour 5 ans, avec un très petit loyer. Il n'y avait qu'une douzaine de cocotiers.
ILC: Et à part les cocotiers il n'y avait rien ?
JC: Non, rien du tout.
ILC: Alors qu'avez vous fait ?
JC: J'ai passé tous mes diplômes de plongée et j'ai ouvert un centre de plongée. Cela a duré 4 ans et demi. Brel et Antoine m'ont rendu visite.
ILC: Et ensuite ?
JC: Après un énième coup d'état manqué aux Maldives, j'ai eu envie de changer d'air et je me suis retrouvé en Thaïlande, où j'ai ouvert un cabaret, à Pattaya.
ILC: J'ai entendu dire que votre night-club était très connu sur Pattaya ?
JC: Oui ca va, ça se passe très bien.
ILC: Quels sont vos projets pour l'avenir ?
JC: Ne rien changer à ma vie actuelle.
ILC: Et Omer, et les autres où sont ils passés ?
JC: Ils sont là où je les ai laissés lorsque j'ai dit «Je raccroche!»: dans leur valise, en France.
ILC: Jacques, malgré votre non-ventriloquie, vous avez motivé plusieurs générations de ventriloques, avez-vous quelques conseils et encouragements à transmettre à nos jeunes ou futurs ventriloques ?
JC: C'est une branche artistique qui a beaucoup évolué, mais le public aura toujours besoin d'artistes qui font rire.
ILC: Cette interview va être diffusé sur Internet, avez vous des bonjours ou des messages à distribuer à certains de vos amis artistes en particulier ?
JC: Ceux que j'ai aimés ne sont plus là.
ILC: Dernière question: un message pour votre public français qui attendait de vos nouvelles avec impatience et depuis longtemps ?
JC: Je suis étonné, flatté et très touché que l'on se souvienne encore de moi. Et je présente toutes mes excuses pour les e-mails qui restent quelques fois sans réponses. Je jure d'y répondre un jour.
ILC: Merci beaucoup, Jacques Courtois, j'ai vraiment passé un excellent moment avec vous c'était passionnant.
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Jacques Courtois recevant des amis
chez lui, à Pattaya, en décembre 2007
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Autre supplément:
Annonce faite par courrier à M. Jacques Courtois (datée du 1er avril 2008)
de la remise par la SACEM de la médaille "Rythme" le 13 juin 2008
pour ses 50 ans (un jubilé!) de fidélité à la
Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique:
A la fin des années 1950,
son tout