Philippe Seur, le «French Doctor» de Pattaya

        Où que ce soit dans le monde, et a fortiori en Thaïlande, il n'est pas toujours aisé de suivre avec exactitude l'évolution globale d'une pandémie comme celle du Sida. Pourtant, sur le terrain, à l'échelle locale (et humaine!), les acteurs (du latin 'actor', «celui qui agit»), pour ne pas dire «activistes, militants, combattants» (…), sont les plus à même d'en restituer une image fidèle à la réalité. 
          Le docteur (français) Philippe Seur fait partie de ces «croisés» qui peuvent nous donner avec autorité des «nouvelles du front», sans fioritures ni complaisance et avec une belle lucidité car nourrie au miel de la générosité. C'est un de ces marginaux étrangers et inclassables (!) profondément enracinés dans l'humus siamois et irréversiblement incorporé dans le tissu social thaïlandais.


[Le Dr. Philippe persuade un malade de la nécessité du traitement]

          Pour mémoire, rappelons que, selon des sources fiables, il y aurait dans le royaume plus d'un million de personnes contaminées par le virus HIV. Mais paradoxalement, la station balnéaire de Pattaya, connue et même célèbre pour son «commerce de proximité», n'est pas plus frappée par ce fléau que le reste du pays. Tout simplement parce que les «travailleurs et travailleuses» sont fortement sensibilisés (par leur encadrement) et formés à se prémunir contre le risque, en tous cas beaucoup plus que dans les campagnes où la population n'est pas encore suffisamment informée (et paie donc le plus lourd tribut à cet exécrable envahisseur).
         Toujours est-il que, malgré les efforts consentis récemment par les services publics, toute personne touchée par la maladie se trouve fort démunie… Et cela était encore plus vrai il y a quelques années, lorsqu'il n'y avait aucune structure d'accueil pour prendre en charge ces patients atypiques. C'est dans ce contexte que le Dr Philippe Seur est arrivé sur le «terrain», après avoir passé une douzaine d'années en Arabie Saoudite comme responsable médical d'une compagnie de construction employant quarante mille personnes. Comme beaucoup d'expats occidentaux travaillant au Moyen-Orient, il avait profité de ses congés pour venir «changer d'atmosphère» en Thaïlande et notamment à Pattaya. Il y est donc arrivé en touriste, louant même un modeste bungalow près de la plage pour pouvoir s'adonner à la navigation de plaisance. Loin de lui l'idée de devenir un médecin pour sidéens dans une ville qui incite plutôt à la dolce vita. 
          Mais en 1998, un ami lui présenta un jeune homme thaïlandais qui était dans les premières phases de l'infection, avec ce que cela comprend de maladies appelées «opportunistes» comme la tuberculose, la pneumonie, la méningite, la rétinite… 
          Confronté à cette grande détresse, ce fut la révélation. Le médecin nanti et insouciant avait trouvé son chemin de Damas paradoxalement, dans une ville que certains taxent de Sodome et Gomorrhe de l'Orient. 
         Ensuite, tout est allé très vite. Le coquet bungalow est devenu un dispensaire ouvert à tous. Il a fallu s'organiser. Le «mau-farang» (médecin occidental) s'est mis à apprendre le thaï, qu'il parle, lit et écrit désormais couramment. Et il est maintenant reconnu par ses pairs comme un des meilleurs spécialistes du sida œuvrant en Thaïlande

 [Discours de sensibilisation à l'Expat Club de Pattaya]

          Travaillant dès le départ en relation directe avec [madame] le Dr Jureerat Bowonwatanuwong de l'hôpital public de Chonburi, ils ont créé ensemble la fondation Heartt 2000 (au nom délibérément évocateur) dans le but de collecter des fonds et des médicaments pour aider ces patients pleins d'espoir qui arrivaient de plus en plus nombreux. Systématiquement enregistrés sur le PC du praticien français, il y en a eu à ce jour (avril 2008) plus de mille six cents (hommes, femmes, enfants, thaïlandais mais aussi occidentaux) à venir régulièrement en consultation (gratuite, faut-il le préciser).


[Avec le Dr. Jureerat lors d'un séminaire de formation]

          Plusieurs centaines sont sous anti-rétro-viraux, ces médicaments qui empêchent la réplication du Virus VIH chez les personnes infectées, leur permettant ainsi d'avoir une vie quasi normale, voire de reprendre une activité professionnelle.


[Les malades sous traitement aident à distribuer les
anti-retro-viraux qui permettront de sauver d'autres vies]

          Ceux qui en ont les moyens paient pour le traitement, les autres bénéficient du formidable élan de solidarité suscité par le Dr Philippe. Car lui-même soigne bénévolement et à plein temps, ayant mis une grosse partie des ses économies (prévues pour sa retraite) dans l'achat de médicaments distribués aux malades indigents.

          Fort heureusement, à Pattaya (et même à l'étranger) d'autres associations ont pris le relais pour organiser des collectes, sachant que l'argent confié à la fondation Heartt 2000 sera bien utilisé pour les malades et dans la plus grande transparence.

 
[Dr Philippe Seur au Mr 'Pattaya Gay Festival', 1er décembre 2004]

         Avec une moyenne de trois nouveaux patients par jour, les besoins augmentent sans cesse. Parmi les sponsors les plus importants, le Pattaya Gay Festival (PGF) fait figure de bailleur de fonds extraordinaire, à hauteur de deux cents mille bahts par mois.


[Préparation de la parade du Pattaya Gay Festival, décembre 2004]

        Depuis huit ans, cette communauté internationale organise des manifestations caritatives dont la plupart sont destinées à aider Heartt 2000, dont le nom, soit dit en passant, est l'acronyme de «Help Ensure Aids Rescue Together in Thailand» (Aidons Ensemble à Sauver les Personnes Atteintes du Sida en Thaïlande). 
           Le 1er décembre 2004, dans le cadre de la journée mondiale contre le sida, la municipalité de Pattaya a organisé un défilé intitulé «Walk for Life» (Marche pour la Vie) afin, d'abord et surtout de mettre l'accent sur la prévention, notamment auprès des jeunes. Car vingt ans après l'apparition de ce terrible fléau, il s'est installé une sorte de banalisation et on a tendance à minimiser le problème, ce qui fait que la pandémie ne diminue pas, bien au contraire. Suivant son exemple, les malades suivis par le Dr Philippe ont créé leurs propres associations d'entraide, appelées «Yellow Rose» à Pattaya et «Saeng Songjai» (Lumière du Cœur) à Chonburi. Cela prouve bien que le sida n'est plus tout à fait synonyme de condamnation à mort, à condition que l'on reste mobilisé et des personnalités comme celles du «French Doctor» de Pattaya sont là pour nous en faire prendre conscience

Raymond Vergé

Coordonnées:
http://www.heartt2000.org/
http://www.gardencentre.com.au/heartt2000
Dr. Philippe Seur
154/14 M.10 Thappraya Road Soi 5
Interhouse Village
Pattaya City, 20260 - Thailand
e-mail: philippe.seur@gmail.com
Dr Jureerat: Cbowon@Chonburi.ksc.co.th

Les entreprises restent fermées aux malades du Sida 

          Si la situation des séropositifs s'améliore au plan médical, leur existence sociale reste compliquée, en particulier dans les entreprises. Pour dénouer les discriminations liées à la maladie, Sidaction et le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise ont lancé un programme de réflexion et de sensibilisation.

          Statistiquement, dans une entreprise de 500 personnes, il y a au moins un salarié séropositif. Nombreux sont les malades qui préfèrent cacher leur état à leur hiérarchie pour éviter une discrimination encore trop présent.
          Pour comprendre les mécanismes de peur qui bloquent encore l'intégration des malades, 25 ans après la découverte du virus, Sidaction se mobilise. En partenariat avec le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD), l'association a monté le projet «Emploi-VIH, regards croisés». Ou comment le théâtre permet d'actionner les leviers de la non-discrimination.  
         L'étude ATLIS (AIDS treatment for life international survey), publiée lundi 9 février 2009, montre que la gêne liée à l'évocation du Sida ne faiblit pas. Cette enquête a été menée en mai 2008 auprès de 3000 séropositifs de 18 pays, avec l'aide de l'Association internationale des médecins engagés dans la lutte contre le Sida (IAPAC).
          Parmi les malades qui ne souhaitent pas révéler leur séropositivité (54% des personnes interrogées), 83% ont peur des discriminations sociales liées à leur état. 36% estiment par ailleurs que l'annonce de leur maladie pourrait avoir des conséquences allant jusqu'à la perte de leur emploi. Une image négative et tenace de la séropositivité.
        Selon Sidaction, 45% des porteurs du VIH se situent hors des circuits de la formation et de l'emploi. A la suite de ce constat, l'association a créé la Mission emploi, en octobre 2004. Son rôle est d'accompagner et de financer des projets d'insertion, de maintien ou de retour à l'emploi des personnes séropositives.
         En 2008, 300000 euros ont été distribués par Sidaction à 13 associations en France, qui accompagnent environ 400 personnes. Mais le relais financier doit être pris par les collectivités publiques, estime Nathalie Pierret, coordinatrice de la Mission emploi à Sidaction.
         Dans le cadre de la Mission emploi, Sidaction a réalisé que, malgré 25 ans de campagnes, le regard de l'entreprise envers les malades n'évoluait pas. Le tabou sur le sujet est insupportable. Nous avons décidé d'ouvrir le gros chantier sociétal pour renverser la situation, se souvient Nathalie Pierret. Le soutien aux séropositifs ne suffit plus: il faut s'attaquer aux idées reçues qui persistent. Pour identifier les peurs, souvent irrationnelles, l'idée originale du Théâtre-forum est née.
        "Il fallait trouver un moyen de faire se rencontrer le milieu du Sida et celui de l'entreprise», raconte Fabrice Pollet, directeur de Pollet Peinture, entreprise de peinture en bâtiment, et membre du comité d'experts de la Mission emploi. Pour décloisonner les milieux et nommer les problèmes rencontrés sur le Sida» insiste Nathalie Pierret. Un outil pour nommer et comprendre les peurs.
        La première expérience de Théâtre-forum s'est déroulée à Orléans, en deux représentations, avec la participation du CJD d'Orléans et du Réseau ville-hôpital d'Orléans. Sur une scène de théâtre, se retrouvent séropositifs, DRH, infirmières, chefs d'entreprises, assistantes sociales, médecins du travail, employés, associations, etc.
         En s'inspirant de situations réelles, ils jouent des saynètes où les malades se retrouvent confrontés à des situations délicates en entreprise: discrimination à l'embauche, regard des autres salariés, peur de la contamination, rejet, questionnement. Le Théâtre-forum dédramatise les situations et bouscule les gens», raconte Fabrice Pollet.
        La pièce est interactive, et peut être interrompue à tout moment par le public. L'expérience a soulevé d'énormes questions chez les participants, mais n'a pas toujours eu l'effet positif escompté. Certains chefs d'entreprise nous ont avoué avoir changé de vision mais n'être toujours pas prêt à embaucher un séropositif, regrette Nathalie Pierret.
      Le Théâtre-forum a montré aux dirigeants pourquoi l'intégration d'une personne malade dans l'entreprise n'est pas anodine, mais comment elle est possible. Il apprend aussi
       Fabrice Pollet raconte l'histoire d'un DRH confronté à un cas de dénonciation anonyme de la séropositivité d'un salarié. Il a su en parler avec l'employé concerné, lui dire que cela resterait entre eux deux, le rassurer. Deux mois plus tard, le salarié a parlé spontanément de sa séropositivité au sein de son entreprise».

Vers un programme de formation dans les entreprises
         C'est un travail de fourmi qui permet de nommer les problèmes, et de réduire la vision erronée de la séropositivité», explique Nathalie Pierret. Le Théâtre-forum est-il la solution aux problèmes que rencontrent les porteurs du VIH dans le cadre de l'entreprise? Assurément pas. C'est un levier, pas une fin en soi», estime la responsable de la Mission emploi.
          A Orléans, un comité de pilotage a été créé pour réfléchir sur un programme de formation des employeurs. Par ailleurs, l'expérience orléanaise a donné lieu à un film* qui pourrait devenir un outil de communication sur le sujet, notamment auprès des plus grandes entreprises.
        Communiquer auprès des entreprises, mais également auprès de l'Etat. On pourrait, on devrait travailler avec les conseils généraux, régionaux, les caisses d'assurance maladie», regrette Fabrice Pollet.
       Malheureusement, selon Nathalie Pierret, les autorités pensent que la situation des séropositifs s'améliore grâce à la généralisation des tri-thérapies, et ne considèrent pas leur situation sociale.
         En attendant un mouvement national, les régions se mobilisent. Le deuxième volet de l'expérience, à Marseille, promet d'être un événement choc pour pousser les personnes concernées à se rencontrer» selon Fabrice Pollet, avant peut-être un troisième épisode à Lyon.
         Nathalie Pierret est convaincue que c'est le rayonnement de chaque personne qui a des connaissances sur la maladie qui changera la vision globale du Sida» 

«DRH et HI » d'Antoine Tracou. Disponible en DVD auprès de l'association Sidaction Rouba Naaman. Mis en ligne le 18/02/2009 © 2009 Novethic - Tous droits réservés.

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http://www.stylite.net/wpbnp/wpbnp-media-parismatch-article12--2003.htm

A 130 kilomètres de Bangkok, un temple qui recueille les victimes s'est transformé en centre d'attractions: momies des morts, orchestre de malades... Un seul bouquet et une poignée de bâtons d'encens pour honorer des centaines de défunts, des sacs en toile de jute contenant les cendres des corps incinérés sont empilés près du crématorium du Wat Phra Bat Nam Phu, à la fois temple bouddhiste et mouroir.

Par BENOIT GYSEMBERGH (Paris-Match/ 03-12-2003)

Cet étrange monument improvise aux morts du sida attire les touristes en mal de sensations fortes. Depuis 1992, à Lopburi, un moine n'hésite pas à donner l'agonie en spectacle pour recueillir des dons et faire prospérer son institution. Mais il est aussi l'un des rares à offrir un asile aux malades du sida, rejetés par leurs familles et encore mal tolérés dans les hôpitaux. C'est dans la zone Asie Pacifique que le virus s'est répandu avec le plus de virulence au cours des dernières années. Près de 7 millions de personnes y vivent avec le V.I.H., 700 000 en Thaïlande. Cet aspect de la redoutable propagation de l'épidémie sera au cœur d'un forum organise par l'Unesco en partenariat avec Paris Match, le 1er décembre, à l'occasion de la Journée mondiale du sida.

Le Dr Yves ? - Là-bas, dans le bâtiment du fond.» Quand le gardien lève la barrière, le visiteur a l'impression de pénétrer dans un camp de vacances. Les allées sont dégagées, l'environnement est verdoyant et bien entretenu. Du bâtiment indiqué sort avec hésitation un homme maigre, vêtu seulement d'un tee-shirt et d'une couche-culotte. En chancelant, il se dirige vers le petit kiosque bâti près de l'entrée, qui vend tout ce que vendent les gargotes de Thaïlande : de la soupe, des boissons gazeuses et toutes sortes de snacks à grignoter. Dans la grande salle d'ou il est sorti, une trentaine de lits d'hôpital sont occupés par des hommes et des femmes encore jeunes, squelettiques, tous affubles de couches-culottes, il n'y a pas de matériel médical, pas la moindre perfusion pour ces malades qui ne cessent de cracher et de vomir dans des écuelles. Des chiens se promènent autour des lits. Une toute petite aide-soignante s'affaire sur un patient et, au fond de la salle, deux Occidentaux, la bouche protégée par un masque, pratiquent des massages.

Le Dr Yves Wéry apparaît alors, en blouse blanche. « Bienvenue dans ce dépotoir.» Ce « dépotoir », le Wat (temple bouddhiste) PhraBatNamPhu, n'est pas un hôpital mais un mouroir. Tout comme nos hospices du Moyen Age, celui de Mère Teresa à Calcutta ou celui de Lotti Latrous à Abidjan. Ici, on ne soigne pas. Par la foi et par l'équivalent de quelques cachets d'aspirine pour atténuer la douleur, on prépare les moribonds à faire le voyage de l'autre cote. C'est tout. Les lits sont tous occupés par des malades du sida. En plus des maladies opportunistes classiques comme la tuberculose, on trouve ici tout ce que peut provoquer le virus sur des populations fragiles et sans soins : démences qui obligent à attacher le malade, cécité, psoriasis ou gale avec des croûtes d'un demi-centimètre d'épaisseur. La nuit tombe sur le temple. Ceux qui sont encore valides profitent de la fraîcheur pour faire, dans le jardin, quelques mouvements de gymnastique ou quelques tours de piste, autour du crematorium. A 19 heures arrive le moment de la méditation et des prières et, pour Yves, celui de raconter l'histoire de ce temple-mouroir.

II y a un peu plus de dix ans, afin de préserver son Industrie touristique, la Thaïlande ne voulait pas parler du sida. Mais face à l'ampleur grandissante de la pandémie, les autorités ont fini par lancer une campagne de prévention. L'opération a entraîné des dommages collatéraux: tous ceux qui semblaient présenter les symptômes de cette maladie transmissible - et alors incurable - ont été rejetés par leurs familles, leurs voisins ou leurs clients. Des milliers de malades se sont retrouves à la rue. Les hôpitaux les rejetaient. Médecins et infirmières étaient terrorisés. On leur donnait à manger une gamelle de riz, poussée au fond du couloir à l'aide d'un bâton.

Jusqu'a ce jour de 1992, où le moine Alangkot, ancien ingénieur en travaux publics formé en Australie, s'installe à Lopburi, une petite ville à 130 kilomètres au nord de Bangkok. II y découvre la misère des pestiférés du sida. II est le premier à les accepter et même à les toucher. II leur aménage huit lits. Les voisins protestent, la presse en parle. II devient tout à coup un phénomène. Les riches Thaïs envoient des dons. L'argent afflue. II fait construire de nombreux bâtiments, inutiles, parce que aucun médecin, aucune infirmière, n'ose venir travailler ici. Venu de Belgique, le Dr Yves Wéry arrive en l'an 2000. II vient d'hériter d'une maison à Bruxelles et sa location lui permet de rester ici comme volontaire, sans salaire. II explique : « Les malades venaient de plus en plus nombreux. On se débarrassait d'un fils, d'une fille, comme d'autres iraient jeter un vieux frigo chez le ferrailleur. Des enfants abandonnaient leur mère qui ne comprenait pas.»

Les débuts sont difficiles : pas de quoi faire une radiographie, ni la moindre analyse sanguine. Les hôpitaux rechignent à travailler pour cet endroit tout juste toléré. II est soutenu par une poignée d'aides-soignantes et, parfois, des Occidentaux de passage, de bonne volonté mais souvent incompétents. L'argent, pourtant, ne cesse d'affluer. La mégalomanie s'empare du moine Alangkot, qui continue à faire construire.

Les touristes thaïlandais viennent aujourd'hui à Lopburi pour ses deux attractions: des hordes de singes et le temple. Le bon moine Alangkot a la bosse du commerce : pour attirer les visiteurs et leurs dons, il ouvre les mouroirs. Les Caméscopes tournent à plein régime, filmant les familles et les mourants. Dans les jardins, des artistes exposent leurs œuvres faites à partir de poudre d'os. Une quinzaine de cadavres, dont ceux d'un bébé et d'une célèbre transsexuelle, reposent nus, dans des aquariums remplis de formol ou bien desséchés sur un étal. Dans la pièce d'à côté sont exposés des centaines de petits sacs - 30 centimètres de côté -, en jute blanc, qui renferment les cendres ou les restes qui n'ont pu être calcinés de quelques-uns des 500 morts annuels. Leur famille est inconnue ou bien le facteur charge de distribuer le funèbre courrier n'a pas trouve l'adresse. Parfois, le HIV Band, un orchestre de malades, donne un spectacle ou part en tournée, lorsque les musiciens ne sont pas trop faibles.

Si cet étalage paraît sordide pour un esprit occidental, il ne l'est pas pour un Thaïlandais. Les Occidentaux ont bien souvent honte de faire l'aumône, les Thaïlandais, comme les Chinois, en sont fiers. Ils tiennent à ce que cela se sache.

Yves, comme tout médecin, pense que ce genre d'endroit ne devrait plus exister. Ces quatre années ont été très dures : il a attrape la gale, une tuberculose, fait une dépression nerveuse. Pourtant, il reste. Que deviendrait ce mouroir si personne n'était capable de distribuer à bon escient les médicaments qui parviennent ici ? Cet endroit dantesque lui permet aussi de découvrir de nouvelles maladies que développent ces corps contamines, et qui n'existent pas en Occident, il diffuse ses observations sur son site, www.aids-hospice.com, visité dans le monde entier par les chercheurs.

La bonne nouvelle est que la Thaïlande a pris le problème au sérieux et fait un véritable effort pour affronter le fléau. En prévision de la réunion mondiale sur le sida, qu'elle accueillera dans quelques mois, le pays ravale sa façade. Depuis octobre, le ministère de la Santé oblige les hôpitaux à recevoir les malades, et 55 000 traitements trithérapiques leur seront distribues gratuitement. Cinquante-cinq mille, le nombre «officiel» des décès dus au sida l'an passe.

A cinq heures de route de Lopburi, la station balnéaire de Pattaya traîne depuis bien longtemps une réputation sulfureuse. Dans le soi (ruelle) 10, perpendiculaire à Beach Road, à 50 mètres de la plage, des gens poussent discrètement un portail vert et vont s'asseoir sous une véranda, sur des bancs de pierre. La maison d'un étage du Dr Philippe Seur est modeste. La cinquantaine, les cheveux blancs, ce médecin parisien a baroudé toute sa vie. En 1995, il vient de passer douze années sur les chantiers d'Arabie Saoudite et a amassé un bon pécule, il fait alors un tour du monde pour trouver un coin ou poser son sac. II choisit la Thaïlande. En 1998, il découvre que l'un de ses amis thaïlandais est atteint du sida. II le soigne et réussit à le sauver grâce aux tout nouveaux et très chers antiretroviraux. Le bouche-à-oreille fonctionne et sa petite maison finit par devenir un havre d'espérance. Le rez-de-chaussée tient du capharnaüm: le bureau croule sous des piles de documentation, les flacons remplacent les casseroles dans le coin cuisine. Assis à même le sol, le médecin interroge en thaï le malade qui apporte ses dernières analyses effectuées à l'hôpital. Le poids s'est amélioré, les lymphocytes C.d.4 ont augmente, pas d'allergie, pas d'intolérance, pas d'effets secondaires : une tri-thérapie classique qui semble efficace. Ce patient, le 814ème répertorié dans l'ordinateur, réagit bien.

Sur la vingtaine d'antiretroviraux qui existent dans le monde pour concocter un « cocktail» tri-therapique, la Thaïlande en fabrique cinq sous forme générique. Alors qu'un traitement dans un pays occidental coûte entre 500 et 1500 euros par mois, le traitement ne coûte ici, grâce à cette production locale, que 25 euros par mois. Le salaire moyen est de 100 euros. Cela pourrait fonctionner si le conjoint et les enfants n'étaient pas eux aussi infectés, ce qui est très souvent le cas. De plus, quand le « cocktail» classique générique ne convient pas ou plus, il faut utiliser des antiretroviraux non génériques, fabriques exclusivement par les pays riches, chers, beaucoup trop chers. C'est là qu'intervient aussi Philippe Seur, il s'est associé avec une femme médecin thaïlandais, le Dr Jureerat, pour créer une association, Heartt 2000, qui récolte des fonds (philthai@hotmail.com). Certains soirs, il se rend à des « charity dinners» organisés par une entreprise ou par une association gay de Pattaya. Des O.n.g. comme M.s.f. ou des hôpitaux français dont les patients ne supportent plus un antiretroviral lui envoient ce qu'il reste du traitement présent. Le médecin ne fait évidemment pas payer la consultation. Le malade donne ce qu'il peut, s'il le peut. Souvent, rien.

Philippe Seur explique de sa voix douce comment prendre les médicaments. II fait répéter une fois le malade, puis les membres de sa famille. Et une fois encore. Les sourires s'élargissent en même temps que l'espoir grandit et les flacons de pilules, préparés dans la cuisine par deux assistants, eux aussi malades, disparaissent au fond du sac. En rendant le salut thaï à ses visiteurs, les deux mains portées au visage, le médecin murmure : « Je cours un véritable marathon, je sauve ceux que je peux. Hélas, je dois faire un choix. Ici, c'est un peu la liste de Schindler!»

Phnom Penh. Hôpital Norodom Sihanouk. Service d'épidémiologie. « Décès ». Une voix annonce la nouvelle avec autant d'émotion qu'un chef de gare signale le départ d'un train. Accompagne d'un homologue khmer, Marcelo Fernandez, un médecin argentin travaillant pour M.s.f., parcourt le couloir du bâtiment d'un étage. D'un côté, il y a les chambres, de l'autre, la vue sur les hautes herbes et le tas d'ordures nauséabondes de l'hôpital. Un infirmier leur indique un lit. Une toute jeune fille est assise aux pieds de l'homme qui vient de mourir d'une forme de méningite, maladie opportuniste du sida. Marcelo pose quelques instants son stéthoscope sur le coeur et ferme les yeux de l'homme. La jeune fille pleure tandis que le grand Marcelo passe son bras autour de ses frêles épaules pour l'emmener dans le couloir. La pluie s'est transformée en déluge et la voix de la petite est à peine audible. Elle tient à remercier les médecins, les infirmières, les autres malades et leurs familles qui ont parfois nourri son père quand elle n'était pas là. Elle n'oublie personne. Aidée par d'autres malades, elle glisse dans les mains de son père des bâtons d'encens et quelques riels, la monnaie locale, en guise de viatique pour le dernier voyage.

Comme la Thaïlande, le Cambodge a décidé de prendre des mesures pour enrayer la pandémie. Mais avec quel argent ? Les bailleurs de fonds institutionnels préfèrent investir dans la prévention. Seules quelques O.n.g. comme M.s.f. commencent à développer les soins, à utiliser la tritherapie et surtout à former les médecins khmers à son usage. Pour les convaincre, M.s.f. triple leur salaire de misère. Le programme est modeste au regard des chiffres -moins de 100 lits pour 40 000 malades, 200 000 personnes infectées par le H.i.v. et 20 000 morts cette année - mais il a le mérite de produire un nouveau chiffre : en juillet 2001, 862 patients ont bénéficié d'une trithérapie; 83% sont encore en vie. Lorsqu'on les soigne, les pauvres ont autant de chances que les riches de continuer à vivre.

Le traitement du sida n'est qu'une histoire de protectionnisme et de gros sous pour les sociétés pharmaceutiques. II est vrai qu'elles investissent dans la recherche. Mais ceci ne justifie pas cela. Au tribunal de l'Histoire, les pays riches pourraient bien être condamnés pour non-assistance à personnes en danger.

"SIDA ANNEE 24: MOBILISATION SUR TOUS LES TERRAINS"

Le forum organisé par l'Unesco et parrainé par Paris Match est présidé par Koichiro Matsuura, directeur général de ('Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, et anime par notre consoeur Sabine de la Brosse. II se tiendra le lundi 1er décembre 2003, à 14 h 30, à la Maison de l'Unesco (salle I), 125, avenue de Suffren, Paris VIIè. Inscription au 0145 68 0516 ou e.huber@unesco.org

La mort exhibée dans le temple PhraBatNamPhu, la Thaïlande n'en veut plus. Elle refuse d'utiliser les victimes comme des repoussoirs. Des efforts importants sont consentis pour éradiquer la peur qu'inspirent les malades, les faire accepter dans les services hospitaliers et former le personnel soignant. De l'autre côté de la frontière, au Cambodge, même objectif. Le sida est arrivé à Phnom Penh en 1993, avec les prostituées venues se mettre au service des 25 000 « soldats de la paix» de l'Onu. Depuis, malgré des données épidémiologiques imprécises, le Cambodge est considéré comme l'un des pays d'Asie du Sud-est les plus touchés. Les femmes et les enfants sont les plus menacés, à cause des tabous culturels, de la polygamie, de la prostitution et de la drogue. Les organisations humanitaires présentes sur le terrain estiment que, si rien n'est fait, 35 000 Cambodgiennes seront mortes du sida en 2005.

Par BENOIT GYSEMBERGH (Paris-Match/ 03-12-2003)

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20/03/2008
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