Palad khik: l’amulette phalloïde

            Paradoxalement (ou fort logiquement?), de par le vaste monde, la spiritualité, le matérialisme et les superstitions produisent un savoureux cocktail très populaire. Ainsi, mélangeant allègrement la vénérable philosophie et les croyances irrationnelles avec un pragmatisme forcené, le bouddhisme thaï s'accommode fort bien d'amulettes, de fétiches, de grigris et autres talismans qui ont une place importante dans la vie quotidienne.

La plupart [de ces porte-bonheur] ne manquent pas d'évoquer nos médailles miraculeuses et représentent le Bouddha en méditation (ou l'un des nombreux saints bouddhistes).

Par contre, il en est de particulières qui peuvent prêter à confusion : ce sont les "palad khik", ou amulettes en forme de pénis en érection, sculptées de façon hyperréaliste et parfois surmontées de figurines animales, ou même par une femme nue, penchée en arrière, dans la posture dite du "pont" dans le jargon des yogis.

Car on en revient souvent à l'influence sous-jacente de l'hindouisme (et donc du tantrisme), via la civilisation khmère (i.e. du Cambodge voisin).

En tous cas, cela semble très proche du "lingam" (leung, en thaï classique), le phallus de Shiva vénéré dans les temples de l'Inde éternelle et qui incarne (sic) l'énergie divine et/ou symbolisant l'omniprésence du [pro]Créateur.

Le mot "palad" signifie substitut, assistant, et se retrouve souvent plutôt associé à un grade administratif, alors que "khik" veut précisément dire phallus sculpté.

On attribue aux "palad khik" toutes sortes de pouvoirs, comme celui d'augmenter la virilité et la fertilité (au sens large), ou encore celui d'assurer la protection et le bien-être matériel.

Ces talismans sont parfois discrètement portés à la taille par les hommes et on en voit fréquemment de beaux spécimens dans les tiroirs-caisses des marchandes soucieuses de faire fructifier leur commerce.

Pour la plupart, ces objets ont naturellement été bénis, sinon sculptés, par des moines tout à fait respectables, dont certains sont les prestigieux dépositaires d'une tradition scrupuleusement transmise de maître à disciple.

Pour garantir l'efficacité de ces 'statuettes', on y fait graver par leurs soins des stances en khmer ancien, c'est-à-dire des formules sacrées (ou mantras) issues du sanskrit-pali et indéchiffrables par le commun des mortels, invoquant pouvoir et réussite dans le monde profane et séculier.

La valeur spirituelle, énergétique et tout simplement marchande d'une amulette dépend en premier point du prestige de celui qui l'a élaborée et de son lieu d'origine (en général un 'abbé' de haut niveau dans un temple réputé), ensuite de la matière utilisée (bois, ivoire, os, corne, argent, bronze, cuivre, laiton, étain, résine…), puis la qualité artistique et esthétique de l'objet, ainsi que sa notoriété (en particulier chez les collectionneurs-dévots).

D'ailleurs, pour parler de l'acquisition ou la cession de ces accessoires sacralisés, les vrais initiés n'utilisent pas, en thaï du moins, les verbes 'acheter' et 'vendre' mais plutôt 'louer', par respect.

Et il ne faut pas voir d'incompatibilité, bien au contraire, avec l'habitude quotidienne et 'rituelle' qu'ont les 'mamassans', à l'ouverture des go-go bars, de taper deux fois sur chaque table avec leur amulette phalloïde grandeur nature (quand ce n'est pas un modèle… étalon) qui retrouve ensuite sa place 'fétiche' près de la caisse enregistreuse.

          Pour mieux personnaliser son 'instrument', on peut aussi choisir le symbole animalier répondant plus spécifiquement à ses propres besoins: par exemple, celui qui recherche l'habileté choisira un phallus chevauché par une panthère, un tigre pour le courage, un singe pour l'intelligence, un lézard à double appendice caudal pour la fécondité, etc.

        On trouve également les douze animaux des signes de l'astrologie chinoise. Il y en a pour tous les goûts et le spectre est large !

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Conte graveleux du Nord-Est

Selon une légende très ancienne qui circule encore dans la province du Nord-Est (Issan), il y avait un homme du nom de Kam-Pha qui vivait dans un village. Son membre viril était démesuré et il avait du mal à se trouver une épouse. En langue locale, on l'appelait Kam Pha Koy Yai ou "Kam-pha la grande tige".

Un matin d'été, en plein mois de mai, à la saison des mangues, dans ce même village, quelques jeunes filles nubiles décidèrent d'aller ramasser les fruits mûrs tombés au sol. Arrivées sous les manguiers, elles ne trouvèrent pas un seul fruit à terre. C'est Kam-Pha qui était passé et avait tout raflé. Les jeunes filles finirent par le découvrir allongé sur le dos, entièrement nu, près de son tas de mangues. La scène ne manqua point de les amuser. Leurs rires éveillèrent Kam-Pha qui les invita à s'approcher. «Je donnerai les mangues à celle qui pourra s'accoupler avec moi». Toutes voulurent essayer mais aucune n'y arriva (en raison de l'énormité de la 'chose'). Malgré tout, les adolescentes reçurent leur part de mangues et rentrèrent au village.

Kam-Pha était fâché contre lui-même de ne pas avoir réussi à honorer une seule des jeunes filles. Il s'en alla vers la rivière que l'on appelle "Wang Nam Nao" et qui coule encore dans la province de Chaiyaphum. De rage et de dépit, il se sectionna le pénis et le jeta dans le cours d'eau. Il en mourut et son esprit se mit à errer dans les parages.

Plus tard, dans la région, certains témoins affirmèrent avoir vu des pierres de forme phallique sauter dans la rivière, comme si elles étaient animées d'une énergie surnaturelle, et on leur attribua donc un pouvoir magique.

Voilà l'origine officieuse des "Palad Khik". Seule une femme, veuve et nue, pouvait arriver à en pêcher à l'épuisette. Encore fallait-il connaître le bon endroit et arriver au bon moment. Les "Palad Khik" devaient ensuite être bénis par un shaman (prêtre-sorcier) qui procédait à un rite incantatoire afin d'en valider le pouvoir spirituel. Les heureux élus qui arrivaient à s'en procurer voyaient leurs affaires prospérer en même temps que se développait leur charme personnel.

Ces croyances ont perduré jusqu'à nos jours. Mais au cours des siècles, on s'est mis à sculpter (ou mouler) des "Palad Khik" dans différents matériaux et cela fait belle lurette qu'ils sont "à portée de main" sur les étals des marchés spécialisés...

                                                  Raymond Vergé

ARTICLE ASSOCIÉ: Le temple de la fertilité (Bangkok)

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12/03/2008
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