Morgan Sportès, la mémoire du Siam

             Entre autres romans à succès, l'écrivain français Morgan Sportès est l'auteur du flamboyant «Pour la plus grande gloire de Dieu» (traduit en thaï par Kanika Chansang) dans lequel il met en scène les tumultueuses relations franco-siamoises au 17ème siècle. De passage à Bangkok en septembre 2007, il a bien voulu répondre à nos questions.


[Photo: Patrick Swirc/Grasset]

        Gavroche: Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à l'histoire du Siam et plus particulièrement à l'épisode des envoyés de Louis XIV ?
        Morgan Sportès:
C'est le paradoxe. L'idée de ces  ambassadeurs «grand siècle» emperruqués, enrubannés, poudrés, fondant comme motte de beurre sous le soleil du Siam, l'idée de cette «rencontre» (quasi surréaliste) entre le baroque louisquatorzien, et le baroque de la Cour du roi Naraï. Imaginer un mousquetaire emplumé, émule de d'Artagnan, à l'ombre des cocotiers, trainant sa rapière dans les marchés grouillants et colorés de Lopburi ou Ayuthya, courtisant une jolie fille en sarong, à demi nue, aux dents laquées de noir, et se retrouvant nez à nez, si je puis dire, avec un éléphant caparaçonné d'or. L'idée est donc, tout d'abord, esthétique… belle et bouffonne. Les petits enfants de Descartes («je pense donc je sue» dit un de mes personnages) sous les tropiques…

         Il y avait là, pour un artiste, une belle matière, de belles couleurs à la Gauguin et de beaux malentendus bien sûr, à explorer: dans leurs dimensions comique, tragique.

          Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Voilà une belle idée  (j'ai sans doute eu connaissance de cette  aventure des Français au Siam dès mon premier séjour dans le pays, en 1973: j'avais 23 ans), et ce n'est qu'en 1990 qu'a été publié mon roman «Pour la plus grande gloire de Dieu». Entre temps il m'a fallu mûrir (il faut une certaine maturité d'esprit pour s'attaquer à un sujet historique aussi complexe) et beaucoup travailler. Mais c'est sans doute le choc qu'a reçu le jeune homme que je fus, en débarquant à Bangkok il y a trente cinq ans, n'ayant jamais mis les pieds en Asie, qui a permis l'écriture du livre. Mon expérience personnelle, charnelle, du pays. Toutes les sottises qu'ont pu commettre les jeunes mousquetaires du Roi Soleil jadis, je les ai commises naguères. J'ai écrit aussi en connaissance de cause. Mais il m'a fallu lire, par ailleurs, lire énormément.  J'ai lu l'ensemble des écrits de l'époque concernant cette affaire, ce qui représente des milliers de pages, imprimées ou manuscrites.

        Gavroche: Où avez-vous trouvé les sources ? Êtes-vous venu sur place, sur les lieux mêmes où se déroulent les faits ?
     Morgan Sportès:
Les sources on les trouve d'abord à la Bibliothèque nationale, puis aux  Archives nationales, aux Archives du Quai d'Orsay, aux archives des Missions étrangères, rue du Bac, Paris. Quand on commence à vraiment raffiner, on se fait envoyer des microfilms des bibliothèques étrangères. La Bibliothèque de la Haye a de fort intéressants documents sur le Siam… Quand on commence à lire ce fatras, on n'y comprend rien. Qu'est-ce que viennent faire ces Français au Siam? Protéger le roi Naraï contre les appétits des Hollandais tout puissants en Asie? Ou renverser le roi de Siam pour mettre sur le trône son premier ministre, l'aventurier grec Phaulkon ? Christianiser et coloniser les Indes?

         Comprendre quelque chose là-dedans est fort difficile: car tout le monde ment. Ça n'est qu'en confrontant les témoignages des différents partis en présence, qu'on commence, comme un juge d'instruction, à se faire une idée de la vérité.  Mais ces partis sont multiples: Français, Hollandais, Anglais, Portugais, Persans etc., s'entredéchirent. Ces rivalités nationales se doublent de rivalités religieuses: catholiques, protestants, musulmans, bouddhistes etc. Chaque nation, ou chaque religion pouvant connaître elle aussi des divisions: ainsi les jésuites français (obéissant à Louis XIV) s'opposent aux pères des Missions étrangères (qui relèvent en principe du Pape), ainsi les catholiques français voient-ils s'opposer à eux les protestants français du Siam qui prennent le parti des Hollandais eux-mêmes protestants. Etc ! Un vrai panier de crabes !…

     C'était émouvant de tourner les pages de ces antiques manuscrits,  empoussiérées, jaunies, craquelantes (parfois un  morceau de manuscrit tombait en poudres entre mes doigts, emportant un pan de la mémoire de ces temps),  de redonner vie en les lisant à ces faits ensevelis, de leur redonner sang, odeur, chaleur en les remettant en scène dans un roman. Miracle de la littérature…

Aidé de cartes de l'époque, j'ai arpenté les lieux qu'avaient arpentés les mousquetaires français, à Bangkok, à Ayuthya, à Lopburi surtout où on trouve encore des ruines d'architecture française du 17ème siècle, et même à Pondichéry où se sont réfugiées les troupes françaises en déroute, à la fin de cette épopée. J'ai fait mon petit Flaubert réinventant Carthage.

        Gavroche: Pour la plus grande gloire de Dieu:"Ad Majorem Dei Gloriam" est la devise des jésuites, énoncée par Ignace de Loyola, le fondateur de cet ordre religieux. Faut-il voir dans ce titre un brin de malice ou d'ironie de votre part ?
        Morgan Sportès:
De l'ironie ? Sans doute… Mais j'ai aimé aussi  la sonorité de ce titre, on y retrouve toutes les somptuosités du baroque louisquatorzien. J'ai l'impression d'y entendre retentir les fanfares de Lully. Contrairement à leur réputation, les jésuites ne se sont pas montrés très malins dans cette affaire du Siam à laquelle, comme on peut s'en rendre compte en lisant mon livre, ils n'ont rien compris. Ils sont les principaux responsables de l'échec des Français alors…

         Gavroche: Votre roman a été traduit en thaï et commercialisé en Thaïlande il y a quelques mois. Vous venez d'y effectuer un séjour, avez-vous eu des réactions du lectorat thaïlandais ? Comment le livre a-t-il été accueilli ?
    Morgan Sportès:
L'accueil par les médias, mais surtout par le public a été superbe, chaleureux, il faut dire que mon éditeur, Matichon, a fait un très beau boulot. Cela a été pour moi une satisfaction intellectuelle extrême que tout ce travail que j'ai mis en branle pour écrire mon livre, ait pu, réélaboré par la très belle traduction de Kanika Chansang, être apprécié par des lecteurs appartenant à un monde, une culture, une sensibilité si différents de la nôtre. C'est un grand bond anthropologique ! Je puis dire qu'être lu par des Thaïlandais me fait plus de plaisir que d'être lu par des Français, à cause justement de ce grand bond que cela représente, ce grand numéro d'acrobatie culturelle. Je crois que la plus jolie chose qu'on m'ait dite sur le livre, avec un beau sourire l'accompagnant, c'était le mot: SANUK ! (C'est drôle !). Aussi complexe soit cette intrigue politique, ce que j'espère en effet c'est qu'on s'y amuse, qu'on s'amuse à la lire autant que je me suis amusé moi-même à l'écrire.

        Gavroche: Comment le livre a-t-il été accueilli en France et dans les autres pays francophones ?
          Morgan Sportès:
J'ai eu une très belle presse en France ! Et le livre s'est bien vendu.

         Gavroche: A-t-il été traduit en d'autres langues que le siamois ?
         Morgan Sportès:
En espagnol ! Logique, la patrie des jésuites.

         Gavroche: Voyez-vous aujourd'hui des traces (culturelles ou autres) de la présence française en Thaïlande ?
     Morgan Sportès:
Français et Thaïlandais se sont toujours regardés, me semble-t-il, en chiens de faïence. Nos rapports ont toujours été conflictuels. Fort heureusement, les Thaïlandais ont échappé – miraculeusement - à toute domination coloniale. Cela leur a évité le destin tragique de leurs voisins indochinois.
         Des traces ?... architecturales, à Lopburi par exemple. Et puis il y a les livres, tous ces livres écrits depuis le 17ème siècle. Mon roman fait partie du lot… Lui aussi s'en ira dormir sur les rayons empoussiérés de la BNF… Il y a aussi les peintures murales des temples siamois, où les occidentaux sont la plupart du temps représentés de façon caricaturale, comique, avec de gros pifs et d'énormes phallus, dans les rangs du démon Mara (l'archétype du diable pour les bouddhistes). J'ai écrit un livre iconographique sur la représentation des farangs dans les peintures murales: «Ombres Siamoises», en 1995.

          Gavroche: Quelles sont vos raisons personnelles de revenir en Thaïlande ? Y avez-vous des amis, y a-t-il des villes ou des lieux auxquels vous êtes particulièrement attaché ?
        Morgan Sportès:
Oui, j'y ai des amis de longue, de très longue date. J'y ai vécu des évènements tragiques: les fusillades d'octobre 73, les arrières de la guerre du Vietnam,  toutes les secrètes et sanglantes manipulations de la guerre froide dont l'histoire reste encore à faire.

      Gavroche: Préparez-vous un autre ouvrage dont la Thaïlande serait le décor ?
           Morgan Sportès:
Cela viendra un jour, j'ai quelques idées.

           Gavroche: Qu'est-ce qui caractérise le mieux la Thaïlande à vos yeux ?
         Morgan Sportès:
Une beauté baroque et chaleureuse, faite des horreurs de certains aspects de la modernité, et de la persistance du monde ancien. Bangkok en est le symbole où les grandes surfaces, Tesco Lotus etc., côtoient des marchés traditionnels dignes du pinceau de Brueghel, ou les rizières…Paradoxes !

Propos recueillis par Raymond Vergé (Gavroche Nº 158, décembre 2007)

Site officiel de Morgan Sportès

GAVROCHE - Olivier Simon 03/04/2009 - Rencontre avec Morgan Sportès

Entre histoire diplomatique et scènes de vie, Morgan Sportès a présenté hier lors d'une table ronde l'histoire de son ouvrage Pour la plus grande gloire de Dieu, récit de la seconde ambassade française envoyée à Siam sous le règne de Louis XIV. Pour Gavroche, il livre les «secrets du tournage».
(photo O.S/Gavroche)
(photo O.S/Gavroche)

Morgan Sportès a découvert la Thaïlande à 24 ans, lors de son service militaire. « J'ai toujours voulu écrire un grand récit classique et historique. Or, à cet âge-là, lorsque vous tombez sur le récit d'un prêtre jésuite, il n'y a rien de plus chiant. »
"Le premier Dien Bien Phû de l'Histoire française."
Après avoir mis le projet entre parenthèse pendant des années, le déclic est finalement intervenu alors qu'il feuilletait des archives issues des Missions Etrangères. « Lorsque j'ai découvert ces archives, la surprise a été totale. Le discours était totalement différent de celui des jésuites; les caricatures et pamphlets y étaient dignes du Canard Enchainé. Je n'aurais jamais pensé rire autant en les lisant. » Après avoir complété ces archives et mis bout à bout des précieux recueils et témoignages, le projet devenait enfin réalisable. « Ces différents mémoires m'ont permis de me rapprocher de la vérité. Dès lors, je pouvais conter avec précision le récit de notre premier Dien Bien Phû. »
En redonnant vie à cet épisode oublié de l'histoire, Morgan Sportès a réalisait ainsi son œuvre majeure. Et lorsqu'on l'interroge sur son style, cette note d'humour omniprésente tout au long de cet ouvrage, l'auteur répond d'un air amusé : « Je ne voulais pas tomber dans un récit long et ennuyeux. C'est pourquoi j'ai volontairement adopté un style satyrique et burlesque en m'inspirant d'auteurs tels que le Duc de St-Simon ou Scaron. Certains passages sont tous droits issus du Malade Imaginaire ! Les personnages de cet ouvrage parlent comme parlent les archives de l'époque, explique-t-il. Leur ton n'a rien d'anachronique.»
Ecrivain à plein temps, Morgan Sportès a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages dont la majorité d'entre eux ont été traduits dans plusieurs langues. (espagnol, portugais, allemand, japonais, chinois, thaï...).
Prochain rendez-vous avec l'auteur, ce dimanche à partir de 15h ou l'auteur donnera une conférence sur ses futurs ouvrages concernant la Thaïlande. Seul indice, un projet anthropologique sur une «grande dame»...  [Olivier Simon]

Pour le programme complet, cliquez ici - A lire aussi:
-Salon du livre : Dernier week-end pour profiter des bouquins!
-Trois questions à Stéphane Grivelet, Directeur délégué aux programmes du bureau Asie-Pacifique de l'AUF
-Quel avenir pour le français du tourisme en Asie du Sud-Est ?
-Rencontre avec Frédéric Lepage
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L'Interallié à Morgan Sportès pour
son roman-enquête glaçant sur le Gang des Barbares

PARIS (AFP) - 16.11.2011

Le prix Interallié a couronné mercredi Morgan Sportès, invité surprise du jury qui l'avait d'abord écarté, pour "Tout, tout de suite" (Fayard), roman-enquête glaçant sur l'odieux crime du Gang des Barbares en 2006.

 

L'écrivain français Morgan Sportès le 16 novembre 2011 à Paris
après avoir reçu le prix Interallié

Le prix Interallié a couronné mercredi Morgan Sportès, invité surprise du jury qui l'avait d'abord écarté, pour "Tout, tout de suite" (Fayard), roman-enquête glaçant sur l'odieux crime du Gang des Barbares en 2006.

Le lauréat a obtenu six voix au troisième tour contre trois à Stéphane Hoffmann pour "Les Autos tamponneuses" (Albin Michel) et deux à Delphine de Vigan pour "Rien ne s'oppose à la nuit" (JC Lattès). Trois prétendants "officiels" étaient en lice: Stéphane Hoffmann, Laurence Cossé pour "Les Amandes amères" (Gallimard) et Simon Liberati pour "Jayne Mansfield 1967" (Grasset), déjà sacré par le Femina 2011.

"Mon livre est un livre politique. Je me considère comme un anthropologue de notre société, et vingt ans après +L'Appât+, c'est la même ère du vide en pire", a indiqué Morgan Sportès à l'AFP, après l'annonce de son prix.

"C'est un symptôme social que je décris, et non un fait divers", a-t-il ajouté.

Interrogé pour savoir si ce prix était important pour lui, Morgan Sportès a répondu "oui, bien sûr". "Mais j'ai déjà la reconnaissance du public, avec 50.000 exemplaires vendus jusqu'ici", a-t-il ajouté.

Né le 12 octobre 1947 à Alger, d'un père juif algérien et d'une mère bretonne, Morgan Sportès a vécu en Algérie jusqu'à l'indépendance de ce pays en 1962. Il a aussi vécu, adulte, en Thaïlande et au Japon.

Auteur d'une vingtaine d'ouvrages, il pratique tous les genres, romans historiques, autobiographies, romans-enquêtes, satire, thriller détourné comme "Maos", en 2006, prix Renaudot des lycéens. Il a aussi parlé de son enfance algéroise dans "Outremer" en 1989.

Avec son roman-enquête sur le sordide Gang des Barbares, l'écrivain s'inscrit dans la "non fiction novel", école américaine alliant construction dramaturgique et faits réels, dont Truman Capote fut l'un des maîtres avec "De Sang froid".

"Truman Capote, auteur du remarquable +De Sang froid+, est mon maître en la matière", dit Morgan Sportès.

Un film en 2013

Déjà, en 1990, le lauréat du prix Interallié avait retracé dans "L'Appât" l'itinéraire sanglant d'un trio infernal, adapté au cinéma par Bertrand Tavernier.

Le romancier a d'ailleurs indiqué à l'AFP avoir aussi signé pour un film tiré de "Tout, tout de suite", qui devrait être réalisé par Richard Berry, qui avait lui-même joué dans "L'Appât", avec une sortie prévue en 2013.

Début 2006, le jeune Ilan, de milieu plutôt modeste, supposé riche par ses ravisseurs parce que juif, est enlevé, séquestré, torturé pendant 24 jours et assassiné par une bande d'une vingtaine de jeunes, menée par Youssouf Fofana.

Le procès principal s'est déroulé d'avril à juillet 2009.

"Pendant deux ans, j'ai reconstitué leur crime dément, sans juger, mais sans excuser, en ne pouvant me défaire parfois, en dépit de la monstruosité de leurs actes, d'une certaine ironie face à ces mômes qui n'avaient rien dans le crâne", avait expliqué à l'AFP, lors de la sortie de son livre, Morgan Sportès, qui a modifié le nom des protagonistes.

"Je me suis attaché à restituer les dialogues pathétiques des bourreaux. J'ai interrogé les inspecteurs de la Crim, encore très marqués par l'enquête, la juge d'instruction, lu les scripts de coups de fil entre le père (d'Ilan), entouré de policiers et de psychologues, et les ravisseurs, correspondu avec certains des membres de la bande, me suis imprégné des différents lieux", avait encore indiqué l'écrivain. © 2011 AFP 

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TOUT, TOUT DE SUITE - Le vide des barbares


Tout, tout de suite est à la fois un travail littéraire admirable et une reconstitution documentaire glaçante.  

L'histoire qu'a choisi de raconter Morgan Sportès est de celle qui vous ébranle, plus encore sans doute que celle qui lui a inspiré il y a 20 ans  L'appât, dont Bertrand Tavernier a tiré un film en 1995.

En 2006, en banlieue parisienne, un jeune homme est enlevé, séquestré, brutalisé, assassiné. Le groupe de ses ravisseurs est constitué de garçons et de filles sans repères, plus ou moins entrés dans l'âge adulte. La presse les  a baptisé "le gang des barbares" comme pour les rejeter hors de la cité et mettre à distance l'atrocité de leur crime. En réalité, s'ils ont commis l'ignoble, ils sont bien le produit de notre société, de ses sollicitations et de ses points aveugles. C'est ce que Morgan Sportès s'attache à démontrer en reconstituant pas à pas les tâtonnements, les échecs et les détails d'une l'affaire menée par des amateurs, sans argent et désorganisés. Aux commandes, à demi fou, bégayant à la moindre émotion forte mais passant pour un "grand" aux yeux de ses comparses malgré ses capacités intellectuelles limitées, Youssouf Fofana, "un citoyen français musulman d'origine ivoirienne".

C'est lui qui choisit leur cible sur le seul critère de son judaïsme et pour une seule et abyssale raison : l'argent, qu'étant juif, il possède nécessairement!  

"Pourquoi tu veux un Feuj ? Ils ont du blé"
A lire Morgan Sportès, c'est donc une forme extrêmement primaire d'antisémitisme qui a désigné Ilan Halimi comme victime. Une première tentative d'enlèvement raté ne visait d'ailleurs pas un juif et l'ignorance de Fofana est telle qu'une fois décidé, il entreprend un premier repérage dans les commerces un jour de shabbat. 

Loin de toutes constructions religieuses ou politiques dont les membres de la bande n'ont pas les moyens, c'est donc l'indéracinable équation "juif=argent" qui a servi de base à leur sinistre échafaudage. Les possibilités de sa persistance sont nombreuses. Elle procède du dénuement culturel, identitaire, urbanistique et économique dans lequel est abandonnée une part grandissante de la population. 

L'horreur et l'ordinaire

Pour chacun des protagonistes, Morgan Sportès précise les origines géographiques et religieuses. Elles sont diverses, pourtant, issus d'histoires familiales variées, ce sont bien de jeunes Français, scolarisés et élevés en France qui ont torturé et abandonné pour mort un autre jeune Français.

Dans la tradition du non-fiction novel de Truman Capote ou de ce qu'il appelle un "conte de faits", Morgan Sportès tire du réel la matière d'une littérature à la virtuosité chirurgicale. En décalant légèrement les noms (Youssouf devient Yacef ; Ilan devient Elie), il expose les faits, les lieux et les caractères en se gardant de tous jugements explicites. Il touche ainsi l'horreur et l'ordinaire, non comme un journaliste, mais comme seul un grand écrivain peut le faire. 
Jean Marc Jacob (lepetitjournal.com) vendredi 4 novembre 2011

Tout, tout de suite
, Morgan Sportès (Fayard), 380 pages, 20,90 euros.


http://www.fayard.fr 

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Morgan Sportès (1947- )

Ecrivain français, auteur de plusieurs romans et essais sur l’Asie, notamment le Siam historique, mais aussi l’Indochine et le Japon. Coopérant à l’université de Chiangmaï de 1973 à 1975.

Du Siam à la Thaïlande - 1687-1973

1973, octobre: Je débarque au Siam, en Thaïlande. J’avais 23/24 ans, j’étais une sorte de gamin, comme la plupart des Occidentaux de 23/24 ans de cette époque. J’étais militaire, coopérant. On donnait à l’époque la possibilité aux étudiants, en lieu de marcher au pas sous les drapeaux, d’être professeur pendant deux ans à l’étranger. La Thaïlande... Il faut comprendre ce que c’était, à cette époque, la Thaïlande, dans l’imaginaire d’un jeune Français. On ne savait pas à quoi ça pouvait ressembler la Thaïlande, en France, en 1973. On ne savait pas même où c’était. C’était une sorte de rêve orientaliste lointain. Tout juste la situait-on aux abords du Vietnam, à cause de la guerre. On savait vaguement que les Américains y avaient des bases d’où partaient les B52 pour arroser de napalm les « bodoï » d’Ho Chi Minh et de Giap. Le tourisme de masse n’existait pas encore, ni Nouvelles Frontières, ni le Club Med à Phuket. Il fallait un temps infini, avec plusieurs escales, pour arriver en avion de Paris à Bangkok. Moi j’avais un poste à l’université de Chiangmai : professeur de littérature française.

La grande surprise exotique, ce fut d’abord le grand baiser chaud et moite que vous donne l’atmosphère du pays, quand on sort de l’avion, et qu’on n’a jamais mis les pieds sous les tropiques. La surprise se multiplia par la suite dans la rencontre des gens qui, pour la plupart, surtout dans les provinces, n’avaient jamais vu, ou quasi, un Occidental, un farang, un BLANC. Je me souviendrai toujours des grappes de gamins hilares s’accrochant à moi dans les villages du nord de Chiangmai, quand j’y débarquai à moto. Ils voulaient toucher mon nez trop long, tirer sur les poils de ma poitrine, me palper, comme un extra-terrestre. J’étais E. T. Mickey Mouse ! Ils faisaient la ronde autour de moi en criant, chantant, rigolant. On peut imaginer quel choc culturel encore plus surréaliste (avant la lettre) a pu représenter l’arrivée des centaines de mousquetaires français de Louis XIV, à la fin du 17e siècle, dont je narre les aventures dans Pour la plus grande gloire de Dieu. Et c’est bien là une aventure, la plus belle aventure peut-être que puisse vivre un individu, par-delà les jeux d’intérêts politiques et économiques : cette rencontre, ce « choc » de deux mondes ! Il y a eu la conquête des Amériques, la colonisation faite dans la sueur et le sang, mais il y a eu aussi ce mystère de la confrontation d’hommes différents, cette magie, qui transparaît, même dans les textes les plus stupides, les plus racistes des romanciers occidentaux de l’ère coloniale. Que voulez-vous que je vous dise : la Madame Chrysanthème de Pierre Loti, roman français du début du 20e siècle, plein de mépris pour le monde japonais, n’en est pas moins beau, parce que, malgré les préjugés qui ont fait écrire à cet auteur tant de sottises, sa sensibilité, très raffinée, a été émue par les beautés délicates du Japon. En travaillant sur les livres imprimés et les textes manuscrits des diplomates, curés et officiers français débarqués dans le Siam du 17e siècle, on retrouve bien des clichés racistes, mais à côté de ces clichés, des moments de grâce où l’homme perçoit l’homme, la beauté de l’altérité, la belle étrangeté de l’Autre. Certains curés du siècle de Louis XIV trouvaient les femmes siamoises laides comme des singes...

Les choses ont changé. Mais y a-t-il vraiment progrès ? Que penser de ces troupeaux de touristes occidentaux fauchés, pauvres hères modernes de la toute petite classe moyenne, qu’on trimballe, pendant leurs quinze jours de congés payés durement gagnés, de Pattaya à Phuket, et jusqu’à Ayutthaya ou Sukhotaï, en train, en bus, en bateau, comme un troupeau de moutons qui mangent, bêlent, boivent, suent, puent, regardent mais ne voient pas, écoutent mais ne comprennent pas. Le paysan français, auvergnat ou cévenol, du 18ème siècle ou du 19e siècle, qui n’avait aucun espoir de sortir jamais de son village, en savait-il moins que les moutons touristiques du 20e siècle qui ont parcouru le monde d’un pôle à l’autre, d’un Club Med au suivant ? Du moins, les soldats, les diplomates, les curés que j’évoque dans Pour la plus grande gloire de Dieu, aussi cruels et bornés fussent-ils, étaient des aventuriers. Partir au Siam c’était, à l’époque, couper les ponts pour des années - peut-être pour toujours - avec les siens, avec sa famille, sa patrie : risquer la mort, la maladie. Le voyage durait sept mois, via le Cap ! Sur sept cents soldats de la seconde ambassade française au Siam en 1687, cent moururent du scorbut pendant la traversée. Beaucoup d’autres périrent à l’arrivée : de dysenterie et du paludisme. Mais sans doute, quand j’ai moi-même débarqué en Thaïlande en 1973, ai-je ressenti quelques-unes des impressions que les mousquetaires de Louis XIV ont éprouvées en y arrivant : et d’abord cette puissance écrasante de la Nature. La jungle, la forêt, grouillante d’une vie animale secrète, toute bruissante de cette vie secrète : fauves, insectes, reptiles, oiseaux. Bien sûr le touriste d’aujourd’hui ne peut rencontrer ces impressions ni à Bangkok ni à Pattaya, ou à peine. Mais, quant à moi, je les ai découvertes en me baladant à moto au nord de Chiangmai, dans les années 70. Je me souviendrai toujours de l’espèce d’extase qu’a éprouvée le vieux gamin de 20 ans que je fus quand je fonçais sur une route de terre rouge qu’on venait tout récemment de tracer dans la jungle... Soudain, la route inachevée s’arrêtait net, aux pieds de grands arbres. Derrière : la forêt infinie. La « civilisation », la « culture », symbolisées par cette route en terre rouge - une cicatrice rouge - s’inachevaient ici. Et à ce même endroit la nature reprenait ses droits.

Toutes ces routes là - où j’aimais errer à moto, au hasard - boueuses, pleines d’ornières, avec des ponts qui n’étaient souvent constitués que par quelques troncs d’arbre jetés vertigineusement au-dessus des rivières, sont aujourd’hui dûment goudronnées, des bornes kilométriques les ponctuent, des panneaux de signalisation. C’est ce qu’on appelle le progrès, la croissance économique, etc. Les routes, les autoroutes, les voies de chemins de fer qui se multiplient sur la surface de la terre, sont comme les rides qui sillonnent le visage de la planète. Avec la terre, nous vieillissons. Nous nous transformons. Nous mutons.

Uniformisation. Le monde moderne est en train de secréter, à l’échelle internationale, une nouvelle classe moyenne qui, de Miami à Shanghai, de Bangkok à Paris et à Casablanca, commence à partager les mêmes goûts, bons ou mauvais, à consommer les mêmes produits, matériels et intellectuels - Matrix, Macdo, Kentucky Fried Chicken, Da Vinci code, Harry Potter - à s’habiller, à penser semblablement. Est-ce un mieux ? Remercions du moins les historiens, les ethnologues, les romanciers qui nous rappellent qu’il exista jadis des espèces d’hommes très différents. Pour mon humble part j’ai essayé de raconter, dans Pour la plus grande gloire de Dieu, qu’il fut un temps, il y a trois cents ans, de bizarres individus, qu’on appelait « farangset » (bien différents des farangset d’aujourd’hui), portant de drôles de grands chapeaux hérissés de plumes de toutes couleurs, de drôles de bottes énormes, avaient débarqué au Siam, pour persuader les « fourbes » siamois « idolâtres », qu’il n’y a qu’un Dieu, le Dieu des chrétiens, et qu’ils devaient l’adorer sous peine d’aller cuire pour l’éternité en enfer. Monsieur George Bush (y croit-il ?), nous a sorti semblables discours - au nom de la démocratie cette fois, non du bon dieu - pour bombarder l’Irak. Mais les bombes aujourd’hui font beaucoup plus de morts qu’au temps du Roi Soleil, et gageons que les GI’s américains, partis au casse-pipe au Moyen-Orient, n’auront même pas pu jouir, les malheureux, de ce sentiment d’étrangeté, de mystère, qu’implique - ou qu’impliquait - toute rencontre avec des individus d’une autre culture, d’un autre monde : quand bien même on va à leur rencontre pour les assassiner. […]

Ce qui m’a amené à m’intéresser à l’histoire du Siam et plus particulièrement à l’épisode des envoyés de Louis XIV, c'est le paradoxe. L'idée de ces ambassadeurs «grand siècle» emperruqués, enrubannés, poudrés, fondant comme motte de beurre sous le soleil du Siam, l'idée de cette «rencontre» (quasi surréaliste) entre le baroque louisquatorzien, et le baroque de la Cour du roi Naraï. Imaginer un mousquetaire emplumé, émule de d'Artagnan, à l'ombre des cocotiers, trainant sa rapière dans les marchés grouillants et colorés de Lopburi ou Ayuthya, courtisant une jolie fille en sarong, à demi nue, aux dents laquées de noir, et se retrouvant nez à nez, si je puis dire, avec un éléphant caparaçonné d'or. L'idée est donc, tout d'abord, esthétique… belle et bouffonne. Les petits enfants de Descartes («je pense donc je sue» dit un de mes personnages) sous les tropiques… Il y avait là, pour un artiste, une belle matière, de belles couleurs à la Gauguin et de beaux malentendus bien sûr, à explorer: dans leurs dimensions comique, tragique.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Voilà une belle idée : j'ai sans doute eu connaissance de cette aventure des Français au Siam dès mon premier séjour dans le pays, et ce n'est qu'en 1990 qu'a été publié mon roman Pour la plus grande gloire de Dieu. Entre temps il m'a fallu mûrir (il faut une certaine maturité d'esprit pour s'attaquer à un sujet historique aussi complexe) et beaucoup travailler. Mais c'est sans doute le choc qu'a reçu le jeune homme que je fus, en débarquant à Bangkok il y a trente cinq ans, n'ayant jamais mis les pieds en Asie, qui a permis l'écriture du livre. Mon expérience personnelle, charnelle, du pays. Toutes les sottises qu'ont pu commettre les jeunes mousquetaires du Roi Soleil jadis, je les ai commises naguères. J'ai écrit aussi en connaissance de cause. Mais il m'a fallu lire, par ailleurs, lire énormément. J'ai lu l'ensemble des écrits de l'époque concernant cette affaire, ce qui représente des milliers de pages, imprimées ou manuscrites.

Les sources on les trouve d'abord à la Bibliothèque nationale, puis aux Archives nationales, aux Archives du Quai d'Orsay, aux archives des Missions étrangères, rue du Bac, Paris. Quand on commence à vraiment raffiner, on se fait envoyer des microfilms des bibliothèques étrangères. La Bibliothèque de la Haye a de fort intéressants documents sur le Siam… Quand on commence à lire ce fatras, on n'y comprend rien. Qu'est-ce que viennent faire ces Français au Siam? Protéger le roi Naraï contre les appétits des Hollandais tout puissants en Asie? Ou renverser le roi de Siam pour mettre sur le trône son premier ministre, l'aventurier grec Phaulkon ? Christianiser et coloniser les Indes? Comprendre quelque chose là-dedans est fort difficile : car tout le monde ment. Ça n'est qu'en confrontant les témoignages des différents partis en présence, qu'on commence, comme un juge d'instruction, à se faire une idée de la vérité. Mais ces partis sont multiples: Français, Hollandais, Anglais, Portugais, Persans etc., s'entredéchirent. Ces rivalités nationales se doublent de rivalités religieuses: catholiques, protestants, musulmans, bouddhistes etc. Chaque nation, ou chaque religion pouvant connaître elle aussi des divisions: ainsi les jésuites français (obéissant à Louis XIV) s'opposent aux pères des Missions étrangères (qui relèvent en principe du Pape), ainsi les catholiques français voient-ils s'opposer à eux les protestants français du Siam qui prennent le parti des Hollandais eux-mêmes protestants. Etc. ! Un vrai panier de crabes !…

C'était émouvant de tourner les pages de ces antiques manuscrits, empoussiérées, jaunies, craquelantes (parfois un morceau de manuscrit tombait en poudres entre mes doigts, emportant un pan de la mémoire de ces temps), de redonner vie en les liant à ces faits ensevelis, de leur redonner sang, odeur, chaleur en les remettant en scène dans un roman. Miracle de la littérature…

Aidé de cartes de l'époque, j'ai arpenté les lieux qu'avaient arpentés les mousquetaires français, à Bangkok, à Ayuthya, à Lopburi surtout où on trouve encore des ruines d'architecture française du 17e siècle, et même à Pondichéry où se sont réfugiées les troupes françaises en déroute, à la fin de cette épopée. J'ai fait mon petit Flaubert réinventant Carthage.

Pour la plus grande gloire de Dieu: "Ad Majorem Dei Gloriam" est la devise des jésuites, énoncée par Ignace de Loyola, le fondateur de cet ordre religieux. Faut-il voir dans ce titre un brin de malice ou d'ironie de ma part ?

Sans doute… Mais j'ai aimé aussi la sonorité de ce titre, on y retrouve toutes les somptuosités du baroque louisquatorzien. J'ai l'impression d'y entendre retentir les fanfares de Lully. Contrairement à leur réputation, les jésuites ne se sont pas montrés très malins dans cette affaire du Siam à laquelle ils n'ont rien compris. Ils sont les principaux responsables de l'échec des Français alors…

J'ai dans ce pays des amis de longue, de très longue date. J'y ai vécu des événements tragiques : les fusillades d'octobre 73, les arrières de la guerre du Vietnam, toutes les secrètes et sanglantes manipulations de la guerre froide dont l'histoire reste encore à faire.

Ce qui caractérise le mieux la Thaïlande à mes yeux, c’est une beauté baroque et chaleureuse, faite des horreurs de certains aspects de la modernité, et de la persistance du monde ancien. Bangkok en est le symbole où les grandes surfaces, côtoient des marchés traditionnels dignes du pinceau de Brueghel, ou les rizières…Paradoxes !

ความในใจจากมอร์กานสปอร์แตซ จากสยามประเทศปีพ.ศ. 2230 ถึงไทยแลนด์์ปีพ.ศ. 2550



15/03/2008
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