Naklua: un repère de noctambules

La halle de Naklua

            Quoi de plus indiqué pour mieux connaître un pays que d'en découvrir ses dessous les plus intimes ? A Naklua, la halle de nuit fait partie de ces sanctuaires où l'Homo Farangus Erectus ne pénètre que très rarement… C'est pourtant le ventre de Pattaya !

          Ce marché s'appelle Amorn Nakhon, ce qui veut dire 'cité immortelle', tout simplement. Et il y a effectivement quelque chose d'éternel dans sa mise en scène. Le "sur-titre" Talat-sot, comme indiqué en haut de l'enseigne-bannière, veut dire "Marché de produits frais": fruits, légumes, viandes, poissons, fruits de mer...

               

          Tous les soirs, dès minuit, les camions, pickups et triporteurs viennent obstinément livrer leurs chargements de produits frais, dans un désordre bien orchestré, non loin d'une statue de Brahma (le Créateur !) que l'on salue au passage.

         Les chariots des porteurs font la navette entre la rue et les étals en virevoltant avec grâce et dextérité. Leur ballet mécanique est réglé au quart de tour de roue près car ils circulent dans des allées étroites et toujours revendiquées.
                A cette heure-là, ils sont prioritaires, mieux vaut ne pas les gêner,
ce sont des tatoués, torse-nu et en eau, propulsant des diables qui pourraient abimer vos escarpins et tout ce qu'ils contiennent.

         

          Bientôt, les étalages commencent à se garnir. Les forts des halles aident aussi à remplir les stands: tels des basketteurs ou des rugbymen arrivés près du but, ils lancent prestement les cagettes, les bottes, les bourriches et autres colis aux vendeurs qui les réceptionnent en souplesse, marquent les points et se construisent un mur de trophées: leur décor pour la nuit.
         Très vite, u
ne quantité incroyable de choses se retrouve sur de petits espaces, les moindres recoins sont exploités, dessus, dessous, sur les bords, au milieu…

         

          Les choux-fleurs boursoufflés, les tomates écarlates, les concombres vert tendre, les asperges en fagots aux ligatures de paille, les gros oignons joufflus, les pommes de terre difformes, les piments incendiaires, le gingembre radiculeux et les petits citrons verts forment des tumulus prolifiques, des pyramides enluminées et des barricades plantureuses: de quoi tenir un siège.

         

          Ce n'est pas un marché immense et il n'y a pas de pavillons particulièrement consacrés aux viandes, aux poissons ou aux légumes. Figées dans un rictus béat, les têtes de porcs côtoient les bouquets de coriandre et ça leur va bien au teint. De belles pièces de bœuf sont accrochées en grappes, non loin de carottes très amènes: peut-être finiront-elles ensemble…

         

          Un serveur passe avec un plateau composé de trois tasses fumantes qui fleurent bon le café. Mais certains carburent plus volontiers au Krating Daeng (Red Bull), au Lipovitan-D ou au M150, des boissons énergisantes faites d'eau additionnée de sucre, de caféine et de vitamines, en doses individuelles vendues dans de petits flacons ambrés.

         

          Les maraîchers, les mareyeurs, les bouchers, les volailleurs, tous s'activent solennellement dans un silence presque religieux, sous le regard bienveillant du couple royal dont les portraits, sur des calendriers, ornent maints piliers du chapiteau, pour ne pas dire de la… cathédrale.

         

          En Occident, ça crie, ça gueule, ça jure, ça s'interpelle. Ici chacun accomplit son ouvrage comme en méditation, les yeux fixés sur ses pensées, sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit… En ce début de nuit, les visages ont du mal à se dérider car toute cette mise en place représente quand même un effort soutenu.

            Tous les participants à cette messe nocturne sont concentrés, absorbés par leurs tâches distinctives, mais dans la considération et le respect du voisin. L'étranger qui vient fureter les surprend en flagrant délit de labeur exclusif et consciencieux. Devant ceux que l'intrusion étonne, il suffit de se dédouaner avec un grand sourire et la riposte est immédiate.

         

          Le gros des ventes se fait vers 3 ou 4 h du matin, aux tarifs en vigueur. Mais à l'ouverture, lorsqu'on étrenne, les prix peuvent se négocier, car le marchand ne veut pas rater la première vente (Phra deum, en thaï), le client ne doit pas repartir sans avoir acheté, cela pourrait subséquemment porter la poisse. Souvent, les chalands se servent et mettent leur sélection de côté. Les vendeurs font l'addition en évaluant à vue d'œil, au jugé, à la confiance.

         

           Tout est propre et bien rangé. Ici, pas de rats ni de cafards, encore moins de cloportes, ni même aucun insecte. Beaucoup de 'manipulateurs' portent des gants hygiéniques. À chaque stand, il y a toujours un seau d'eau propre pour se rincer les doigts. Car les Asiatiques ne peuvent pas acheter sans avoir touché, palpé, soupesé, voire goûté, après un premier diagnostic visuel, selon la couleur, surtout quand il s'agit de poissons et de viandes.

         

          Les légumes sont aspergés d'eau régulièrement, pour les maintenir frais et dispos. En guise de congélateur, les poulets entiers, vidés et apprêtés, sont confortablement étendus sur des lits de glace recouverts de molletons en plastique transparent. Qualité, hygiène et esthétique constituent la norme essentielle.  

         

          La plupart des clients sont des restaurateurs, sédentaires ou itinérants. En général, les produits sont conditionnés et «formatés» pour eux. Aux rayons gallinacés (éparpillés par petits bouts façon puzzle): les cœurs, les foies, les ailes, les gésiers, entiers ou émincés, la peau, les pattes, tout est sélectionné, calibré, rangé, prêt à cuisiner.
          Côté poissonnerie,
les calamars sont triés par tailles et lavés, dégorgés; chez les charcutiers, les longes de porc sont dégraissées, elles sont prêtes à rôtir sur le barbecue des cuisines ambulantes. Tout est extrêmement bien présenté, ordonné avec des gestes précis, bien aligné, avec délicatesse, et rien n'est mélangé.

         

          Les poissons-chats arrivent encore vivants, secouant des caisses qui sont transvasées dans des viviers. Lorsqu'un acheteur jette son dévolu, ils sont ensuite impitoyablement décapités et vidés devant lui par le sbire de service.

         

          Particularité siamoise: il y a un stand de trois kathoeys (transsexuels) qui débitent du cochon à coups de hachoirs, en rafales crépitantes. Ils/elles opèrent méticuleusement, en aiguisant régulièrement leurs lames sur le dos d'un plat en inox.        

         

          Détail sur le pragmatisme bienveillant des Thaïlandais: les grenouilles sont anesthésiées par la glace, puis proprement éventrées et éviscérées. L'exécuteur des basses œuvre «vivisectionne» avec… détachement. Il leur croise les pattes pour ne pas qu'elles puissent sauter, par un relent de nervosité.

         

          L'ambiance est à la fois laborieuse et décontractée. Les jeunes filles qui besognent céans sont parfois maquillées, les ongles faits, sous les gants, avec l'élégance sommaire qu'on retrouve parfois chez les paysans. Au beau milieu de l'agitation, une demi-douzaine de chats sont tranquillement alanguis, serrés les uns contre les autres, sur un comptoir inoccupé…

         

          Tout près de là, entre deux stands, assis par terre, des hommes jeunes (bouche ouverte, tête nue, et la nuque baignant dans le frais cresson bleu…) jouent au bonneteau, discrètement, en donnant des petits coups d'œil à droite et à gauche. Des liasses de billets passent de mains en mains. Cela ne doit pas être franchement légal, mais personne autour ne semble vouloir y prêter attention. Comme dans beaucoup de pays d'Asie, c'est une règle de base en Thaïlande: «Ne rien voir de mal, ne rien entendre de mal, ne rien dire de mal»...
          A 6h, le marché est une ruche bourdonnante où se mélangent les couleurs, les odeurs et les sonorités aux accents de kermesse enfantine.
           A l'extérieur, un moine bouddhiste fait sa ronde en quête de nourriture, dans sa robe ocre, un gros bol sous le coude et les pieds nus. Il croise sans la voir une jeune fille avec son tube de camphre mentholé planté dans le nez et portant ses achats à bout de bras.
            Alors que le ciel s'éclaircit, et que la fête va se poursuivre au-delà de 10h, on commence déjà à nettoyer, à balayer les reliefs de la nuit. Les premiers rayons du jour chassent la magie des ténèbres enveloppantes. Le petit peuple des métiers de bouche s'affiche en papotant dans le matin blême, alors que déjà sur l'avenue Thepprasit, à 10 km de Naklua (littéralement: marais salants), des braséros s'allument pour griller les premiers pilons de volaille. De quoi partir du bon pied pour la journée…

                               Texte et photos: Raymond Vergé


[photo: JMS]


Moines bouddhistes faisant leur ronde à Pattaya

Pattaya City - Transportation around, within and out of Pattaya

http://www.pattayacity.com/transport.html



12/03/2008
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